6 : Les technologies numériques se répercutent sur le comportement des marchés financiers
Matières
- Introduction
- 1 : Forte ou faible croissance
- 2 : La technologie numérique transforme la production et la main-d’œuvre
- 3 : La technologie numérique transforme la consommation
- 4 : La technologie numérique transforme le commerce
- 5 : La technologie numérique transforme la nature de la propriété et les attentes en ce qui a trait à la création de valeur
- 6 : Les technologies numériques se répercutent sur le comportement des marchés financiers
- 7 : La technologie numérique brouille la fonction interprétative des principaux indicateurs macroéconomiques
- 8 : Les technologies numériques ont des répercussions sur les données officielles et les instruments de la politique macroéconomique
- Remerciements
Les technologies numériques se répercutent sur le comportement des marchés financiers
Les technologies numériques vont entraîner des changements dans le comportement des marchés financiers de nombreux canaux et déclencher une série d’activités pouvant affecter la volatilité des marchés. La vitesse sera un facteur déterminant pour la découverte des prix, que ce soit de nombreux marchés participants ou quelques-uns seulement. Cela va niveler le terrain ou créer d’autres schismes, même en millisecondes, entre ceux qui ont l’information et ceux qui l’attendent. Les technologies numériques peuvent continuer à privilégier les grandes entreprises titulaires, notamment par le biais d’opérations très fréquentes. En revanche, les technologies qui évoluent rapidement peuvent atteindre de plus petits joueurs, créant ainsi une « équité » dans le choix du moment des opérations financières. Enfin, les instruments de crédit traditionnels peuvent être perturbés, ce qui entraîne une rupture de contact entre emprunteurs et prêteurs.
Réexamen de la stabilité et de la volatilité des marchés
Les technologies numériques comme l’intelligence artificielle et l’analytique des données pourraient exacerber les avantages dont bénéficient les grandes entreprises titulaires ou niveler le terrain en permettant à tous les investisseurs de préciser et de déterminer avec exactitude le coût du risque à la même vitesse. Dans un scénario, les technologies numériques pourraient amplifier la volatilité et le risque des systèmes, ce qui déstabiliserait les marchés. Les opérations automatisées et très fréquentes1, ainsi que les plateformes automatisées servant à la gestion du patrimoine pourraient créer des bulles et des effondrements « éclair » qui créent et détruisent rapidement de la valeur. Par exemple, la volatilité de la valeur du Bitcoin n’aurait pu se produire qu’avec les technologies numériques. Les systèmes automatisés effectuent jusqu’à 80 % de toutes les transactions de Bitcoins, ce qui permet d’effectuer des opérations d’arbitrage sur de multiples plateformes à un coût transactionnel quasi nul2. La technologie qui continue de favoriser les échanges très fréquents peut créer des variations encore plus importantes dans la valeur des marchés. Elle procure un avantage aux grands joueurs en leur donnant les moyens de la développer. La volatilité financière peut donner des rendements supérieurs, mais aussi effacer de la valeur. Cela pourrait se traduire par une croissance plus inégale ou plus irrégulière du produit intérieur brut, ce qui, en soit, pourrait réduire la croissance à long terme.
Dans un autre scénario, les technologies numériques pourraient contribuer à améliorer la stabilité et l’efficacité des marchés, ce qui aurait pour effet de réduire l’avantage des négociants très actifs. Une plus grande stabilité des marchés pourrait aider les investisseurs à obtenir une certitude quant à l’évaluation des actifs et à prendre des décisions plus éclairées relativement à ces investissements. La transparence entourant les investissements plus performants pourrait augmenter la demande en incitant les entreprises à réinvestir ou en augmentant le pouvoir d’achat des actionnaires. En revanche, une volatilité constante et une transparence accrue pourraient contribuer à abaisser les prix des actifs qui avaient grimpé auparavant.
Les technologies numériques influencent la souscription et la disponibilité du crédit
Les technologies numériques sont de plus en plus utilisées pour évaluer le crédit des emprunteurs, remplaçant ainsi les paramètres traditionnels basés sur « la connaissance du client ». Une période de contraction marquée par des taux d’intérêt bas a entraîné des taux d’épargne plus faibles et des investissements plus risqués, les particuliers et les entreprises étant disposés à prendre plus de risques pour obtenir des rendements supérieurs. Les paramètres basés sur « la connaissance du client » ont été conçus pour aider les prêteurs à mieux évaluer le risque de crédit des emprunteurs. Les particuliers et les sociétés obtiennent des rendements plus élevés sur les marchés des capitaux plus risqués et de l’immobilier résidentiel gonflé. L’accès plus facile au crédit grâce à de nouvelles plateformes numériques augmente les emprunts et réduit la responsabilisation. Ce phénomène, combiné à des taux historiquement bas, a mené à de nouveaux niveaux d’endettement des ménages au Canada3.
Dans un scénario, les plateformes numériques diminuent les contacts entre emprunteurs et prêteurs, et facilitent l’accès aux marchés des capitaux par le biais de firmes de courtage en ligne à prix réduit qui ne fournissent pas de services-conseils aux négociants qui ont recours à elles. Ces technologies numériques augmentent davantage le risque de crédit en accroissant le volume de négociants inexpérimentés.
Dans un autre scénario, la disponibilité du crédit garanti par les devises numériques et autres cryptomonnaies augmente la sécurité des transactions entre les entités qui ne se connaissent pas dans des marchés transparents. Le registre distribué sous-jacent fournit aux membres une plateforme pour constituer leur propre communauté, distincte de l’institution financière réglementée traditionnelle. Le rôle de l’intermédiaire de confiance existant est transféré des institutions comme les banques aux membres distribués qui constituent la chaîne de blocs.
Quel que soit le scénario, l’arrivée d’un seul fournisseur numérique comme Apple sur les marchés financiers pourrait transformer les marchés du crédit. Les 1,4 milliard d’utilisateurs actifs de l’entreprise devraient tirer profit d’un accès instantané à du crédit sans frais et avec de faibles taux d’emprunt, d’une planification financière en ligne et de remises en argent sur les achats4. Cette « banque de l’avenir » pourrait ébranler les marchés du crédit. Elle intégrerait efficacement la propriété, d’un appareil à des capitaux, de sorte que les liquidités puissent être recyclées à l’intérieur d’un écosystème Apple.
Les technologies numériques et l’exécution des transactions financières
Les innovations technologiques sont en train de refaçonner le commerce de gros, lequel est basé sur la découverte et la confiance dans des créneaux de livraison très serrés. Dans un scénario, les chaînes de blocs et la technologie de registres distribués qui est associée pourraient faire chuter le coût de la confiance transactionnelle, donc faire économiser des milliards de dollars en frais de transactions. La chaîne de blocs sert à faire un suivi de la chaîne de prise en charge et de livraison des expéditions de marchandises physiques. Ce faisant, elle élimine de nombreuses fonctions de courtage dans les éléments de distribution de la chaîne d’approvisionnement. La demande venant des intermédiaires qui sont éliminés des canaux de paiement et de prise en charge pourrait être réduite.
Sources d’innovation
Le potentiel qu’ont les investissements de détruire ou de créer la demande en tant que sources d’innovation dépend du taux de création et d’acceptation par le marché des nouvelles entreprises, lequel est en fonction, dans une certaine mesure, de l’innovation et de la concentration des entreprises sur le marché. L’innovation technologique peut toujours commencer à une petite échelle en périphérie, mais les mégaentreprises mènent la recherche-développement (R et D) et façonnent le potentiel économique. La capacité qu’ont ces géants d’investir dans le développement technologique a considérablement augmenté. Moins de 10 % des entreprises cotées en bourse du monde comptent pour plus de 80 % des profits globaux5. Elles décident, effectivement, comment affecter la grande majorité des surplus mondiaux. Huit entreprises technologiques ont dépensé à elles seules 96,5 millions de dollars US en R et D en 2018. Cela dépasse les investissements en R et D dans n’importe quel autre secteur industriel, notamment l’industrie pharmaceutique (66,3 milliards de dollars US) et l’industrie automobile (61,2 milliards de dollars US).
Pour les entreprises en démarrage, la technologie numérique peut développer de nouveaux marchés et systèmes transactionnels en démocratisant l’accès aux capitaux par le biais des plateformes de sociofinancement. Le sociofinancement peut simplement faire gonfler les bulles des marchés au lieu d’agir comme un mécanisme de rechange pour financer de nouveaux produits et services. Le sociofinancement a connu un essor rapide; son volume mondial en 2017 était estimé à 34 milliards de dollars US6. Cependant, il est largement éclipsé par les marchés des capitaux traditionnels; les opérations boursières mondiales se sont élevées à environ 21,7 billions de dollars US au quatrième trimestre de 20177.
L’intégration des technologies numériques dans les marchés émergents a augmenté les flux de capitaux, ce qui a eu pour effet d’accroître l’offre et la demande dans ces marchés. Par exemple, M-pesa permet d’effectuer rapidement des transferts de fonds bon marché depuis l’étranger (p. ex., remises) au moyen de téléphones mobiles à des collectivités situées au Kenya, en Tanzanie et en Afrique du Sud. De telles transactions étaient auparavant inconcevables, étant donné le manque d’infrastructures bancaires. Ces transferts ont accéléré le développement économique en Afrique, surtout parmi les femmes, un exemple évident de la création de demande au moyen de la technologie.
Notes en fin de texte
1 Gregory Meyer, Nicole Bullock et Joe Rennison, « How High-frequency Trading Hit a Speed Bump », 1er janvier 2018, Financial Times, https://www.ft.com/content/d81f96ea-d43c-11e7-a303-9060cb1e5f44.
2 Benoit Tessier, « High-Speed Traders are Taking Over Bitcoin », 16 janvier 2017, Globe and Mail, https://www.theglobeandmail.com/globe-investor/investment-ideas/high-speed-traders-are-taking-over-bitcoin/article33637923/.
3 Guy Gellatly et Elizabeth Richards, « L’endettement et la richesse parmi les ménages canadiens »,
26 mars 2019, Statistique Canada, https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/11-626-x/11-626-x2019003-fra.htm.
4 Kelly Fiveash, « Is Apple Card the Future of Finance or just a Fancy MasterCard? », 28 mars 2019, Wired, https://www.wired.co.uk/article/apple-credit-card-uk.
5 McKinsey Global Institute, McKinsey & Company, Playing to Win: The New Global Competition for Corporate Profits, septembre 2015, https://www.mckinsey.com/~/media/mckinsey/business%20functions/strategy%20and%20corporate%20finance/%20our%20insights/the%20new%20global%20competition%20for%20corporate%20profits/mgi%20global%20competition_full%20report_sep%202015.ashx.
6 « Crowding Statistics », Fundly, consulté en avril 2020, https://blog.fundly.com/crowdfunding-statistics/#general.
7 Statista, 2019, « Value of Global Equity Trading Worldwide from 1st to 4th Quarter 2017 », Financial Instruments and Investments, Statista, https://www.statista.com/statistics/242745/volume-of-global-equity-trading/