Vies futures : mobilité sociale en question

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- 1.0 Introduction
- 2.0 2040 : plus de serpents que d’échelles
- 3.0 Implications politiques
- 3.1 L’économie Canadienne pourrait s’affaiblir ou devenir moins prévisible
- 3.2 La santé mentale pourrait s’altérer
- 3.3 Les travailleur·euses pourraient vérifier si l’herbe est plus verte ailleurs
- 3.4 Les gens pourraient trouver d’autres moyens de satisfaire leurs besoins fondamentaux
- 3.5 L’Éducation post-secondaire pourrait devenir un atout en péril
- 3.6 Les gens pourraient rejeter des systèmes qui, selon eux, les ont laissés tomber
- 4.0 Conclusion
- Remerciements
- Notes de fin de texte
1.0 Introduction
La mobilité sociale est au cœur du projet canadien. Au Canada, beaucoup de gens partent du principe que « suivre les règles » et « faire ce qu’il faut » mènera à une vie meilleure. Tout le monde peut faire des études, travailler fort, acheter des biens et gravir les échelons sociaux et économiques. Il s’agit d’une promesse informelle mais puissante.
Cependant, les choses changent. L’inégalité des richesses s’accroît. Les enfants sont déjà moins mobiles que leurs parentsNote de fin de texte 1. Horizons de politiques a exploré certains de ces changements dans les Vies futures (2022) et Les besoins fondamentaux en danger (2023). Plus récemment, le rapport 2024 Perturbations à l’horizon suggère que, dans les années à venir, la mobilité sociale descendante pourrait devenir la norme. Le scénario ci-dessous décrit le Canada de 2040, où la plupart des Canadien·nes se retrouvent coincé·es dans les conditions socio-économiques de leur naissance et où beaucoup sont confronté·es à la possibilité très réelle d’une mobilité sociale descendante.
Bien qu’il ne s’agisse ni de l’avenir souhaité ni de l’avenir préféré, les prévisions stratégiques d’Horizons de politiques suggèrent qu’il est plausible. Réfléchir à des scénarios futurs aide les décideurs et décideuses à comprendre certaines des forces qui influencent déjà leur environnement politique. Cela peut également les aider à vérifier si les hypothèses intégrées dans les politiques et les programmes d’aujourd’hui sont prêtes pour l’avenir. Enfin, cela permet d’identifier les possibilités de prendre aujourd’hui des décisions qui pourraient être bénéfiques pour le Canada à l’avenir.
2.0 2040 : plus de serpents que d’échelles
En 2040, la mobilité sociale ascendante est quasiment inexistante au Canada. Pratiquement personne ne croit qu’il ou elle peut construire une vie meilleure pour soi-même ou ses enfants par ses propres moyens. Cependant, beaucoup s’inquiètent de glisser vers le bas de l’échelle sociale. Ce scénario identifie 6 grandes façons dont le monde a changé depuis 2024 :
2.1 Éducation post-secondaire
En 2040, l’éducation post-secondaire (ÉPS) n’est plus considérée comme une voie fiable vers la mobilité sociale. Les frais de scolarité et de logement excluent tout le monde, sauf les plus riches. Les délais relativement longs des programmes entraînent des coûts importants en termes de possibilités. Les programmes rigides ne peuvent répondre à l’évolution constante de la demande de compétences sur le marché du travail. Moins de jeunes choisissent l’ÉPS; ceux et celles qui le font y voient moins une voie vers une carrière réussie qu’un moyen de renforcer leur appartenance à l’« élite ».
2.2 Logement
En 2040, être propriétaire d’une maison n’est pas un objectif réaliste pour beaucoup. La plupart des personnes qui accèdent à la propriété se font aider par des membres de leur famille. Certain·es contractent des prêts hypothécaires intergénérationnels et font cohabiter plusieurs générations de la familleNote de fin de texte 2. D’autres contractent des hypothèques alternatives avec des ami·es. Un pourcentage croissant de propriétaires possède également des biens locatifs. Ces personnes s’opposent aux politiques visant à accroître l’offre de logements ou à geler les loyers. L’inégalité entre les locataires et les propriétaires est devenue un moteur important des conflits sociaux, économiques et politiques.
2.3 Richesse intergénérationnelle
En 2040, les gens considèrent l’héritage comme le seul moyen fiable de progresser. La société ressemble de plus en plus à une aristocratie. La richesse et le statut se transmettent de génération en génération. Les antécédents familiaux – en particulier la possession de biens immobiliers – séparent les « nantis » des « démunis ».
2.4 Cloisonnement social
En 2040, les gens se mélangent rarement avec d’autres de statut socio-économique différent. Les applications de rencontres algorithmiques filtrent par classe. Les métavers fermés, comme la vraie vie, offrent peu d’occasions de rencontrer des personnes de milieux différents. Il est difficile de progresser dans le monde en établissant des liens sociaux qui pourraient conduire à des relations amoureuses à long terme, à des possibilités d’emploi ou à des partenariats commerciaux. Les relations sociales n’offrent plus de voies vers des connexions ou des circonstances permettant une mobilité ascendante.
2.5 Aspirations et attentes
En 2040, les aspirations à la mobilité sociale des jeunes sont en contradiction avec les attentes d’immobilité. Les discours publicitaires et marketing continuent de susciter le désir de gravir l’échelle sociale, mais les réalités économiques laissent la plupart des attentes limitées. La dissonance cognitive entre ce que les jeunes sont programmé·es pour vouloir et ce à quoi ils et elles savent qu’ils et elles peuvent s’attendre conduit beaucoup de gens à la frustration et à l’apathie. Seul·es quelques-un·es conservent une forte volonté d’innover et de réussir selon les termes traditionnels.
2.6 Intelligence artificielle
En 2040, la valeur du travail humain a diminué à cause de l’intelligence artificielle (IA)Note de fin de texte 3. L’IA est répandue et peut faire beaucoup de choses. Autant dans les domaines de la création que de la connaissance, moins de travail est disponible. La plupart des gens dépendent du travail à la demande et des projets parallèles pour répondre à leurs besoins fondamentauxNote de fin de texte 4. Il est difficile pour les travailleur·euses d’épargner suffisamment pour démarrer une entreprise. Les gens utilisent des assistants IA pour de nombreuses tâches quotidiennes. Ils facilitent l’organisation du travail et aident à gagner de l’argent. Cependant, les meilleurs assistants IA coûtent cher. Cela renforce les inégalités structurelles.
3.0 Implications politiques
Le scenario ci-dessus entraînerait tout une série d’implications politiques.
La liste des implications présentée ici n’est pas exhaustive. Son objectif est d’aider les décideur·euses politiques à élargir leurs modèles du futur. À cette fin, les lecteur·rices devraient se poser les questions suivantes lorsqu’ils et elles réfléchissent aux implications :
- comment l’immobilité sociale ou la mobilité descendante pourrait-elle remettre en cause les politiques, les programmes ou les personnes;
- comment les hypothèses intégrées dans les politiques et programmes actuels résisteraient-elles face aux changements de la mobilité sociale;
- quelles mesures pourraient être prises dès maintenant pour maximiser les possibilités et atténuer les défis liés à une mobilité sociale réduite et/ou descendante à l’avenir.
3.1 L’économie Canadienne pourrait s’affaiblir ou devenir moins prévisible
- Le capital destiné à investir dans de nouvelles entreprises peut se concentrer entre les mains d’un petit nombre de personnes âgées et très riches. Leurs perspectives et préférences peuvent déterminer quels secteurs deviennent gagnants et perdants en termes d’innovation et de croissance de l’emploi.
- Les syndicats, y compris les syndicats indépendants non traditionnels, pourraient gagner en pouvoir à mesure que les travailleur·euses deviennent frustré·es. Les mouvements sociaux et les grèves pourraient perturber le développement économique. Cela pourrait réduire les investissements directs étrangers dans les secteurs à forte intensité de main-d’œuvre tels que l’industrie manufacturière.
- La propriété immobilière – et par extension la richesse – pourrait devenir encore plus concentrée si les jeunes générations abandonnent l’idée d’acheter des maisons individuelles en faveur de la location ou de la formation d’autres ménages. Les personnes disposant d’un capital ou de fonds propres pourraient ainsi être en mesure d’acquérir de plus en plus de biens immobiliers résidentiels, ce qui pourrait également entraîner une hausse des coûts de location à l’avenir.
- Puisque de nombreuses personnes auront moins dans cet avenir et ne voient aucun moyen d’améliorer leur statut par la consommation et l’affichage, elles dépensent moins. Cela pourrait réduire l’économie de consommation.
3.2 La santé mentale pourrait s’altérer
- Un plus grand nombre de personnes pourraient avoir du mal à payer leur loyer, leurs factures ou leurs épiceries. Le stress qui en résulterait pourrait aggraver les problèmes de santé mentale. La demande de services sociaux s’en trouverait accrue.
- Si les gens renoncent à atteindre un niveau de vie plus élevé, l’apathie pourrait s’étendre à d’autres domaines de leur vie. La frustration pourrait rendre de nombreuses personnes profondément malheureuses, ce qui aurait des répercussions négatives sur leur famille et leurs proches. En outre, moins de personnes pourraient avoir les ressources psychologiques nécessaires pour faire du bénévolat et aider les autres.
- Afin de protéger leur santé mentale, certaines personnes pourraient redéfinir le succès en s’éloignant de l’accumulation de richesses et en s’orientant vers la recherche d’un but ou du bonheur. Un plus grand nombre de personnes pourraient être disposées à changer d’emploi pour trouver un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée ou un travail plus intéressant.
- Dans ce contexte, il se peut que moins de personnes aient la volonté de construire et d’innover. Les décideur·euses politiques ne pourront peut-être plus tenir pour acquis que les gens seront motivés pour améliorer leur sort.
3.3 Les travailleur·euses pourraient vérifier si l’herbe est plus verte ailleurs
- Le Canada pourrait devenir une destination moins attrayante pour les migrant·es s’il est perçu comme un pays où la mobilité ascendante est rare.
- Davantage de personnes au Canada, y compris des immigrant·es récent·es, peuvent émigrer vers des juridictions où ils et elles pensent que la mobilité sociale ascendante et/ou un niveau de vie plus élevé sont plus faciles à atteindre – même si ce n’est pas le cas.
- Si les jeunes travailleur·euses quittent le Canada, il pourrait devenir plus difficile de financer les systèmes qui prennent en charge un nombre croissant de personnes âgéesNote de fin de texte 5.
- Il pourrait y avoir des pénuries de main-d’œuvre dans les secteurs où le remplacement des travailleur·euses par l’IA ou l’automatisation sont les plus difficiles, en particulier si les travailleur·euses libéré·es par l’automatisation ne sont pas en mesure d’occuper ces fonctions. Il s’agit par exemple des soins, de l’agriculture et de la construction.
3.4 Les gens pourraient trouver d’autres moyens de satisfaire leurs besoins fondamentaux
- Les coopératives de logement, d’alimentation, de garde d’enfants et de soins de santé pourraient devenir plus courantes. Cela pourrait alléger les charges pesant sur les services sociaux, mais aussi mettre à l’épreuve les entreprises fondées sur le marché.
- Les formes d’échange de biens et de services de personne à personne pourraient devenir encore plus populaires, ce qui réduirait les recettes fiscales et la sécurité des consommateur·euses.
- Les gens pourraient commencer à chasser, à pêcher et à s’alimenter sur les terres publiques et les cours d’eau sans se référer aux réglementations. L’agriculture à petite échelle pourrait se développer.
- Les gouvernements pourraient sembler inutiles s’ils ne parviennent pas à faire respecter les réglementations de base ou si les gens s’en remettent de plus en plus à des solutions locales pour répondre à leurs besoins fondamentaux.
3.5 L’éducation post-secondaire pourrait devenir un atout en péril
- À mesure que l’ancienne croyance selon laquelle l’ÉPS est une voie fiable vers la mobilité ascendante se brise et que les inscriptions chutent, le secteur risque de devenir un actif inutilisé. Les retombées attendues en matière de mobilité sociale des investissements publics massifs dans le secteur pourraient ne pas se produire. Dans ce cas, le soutien populaire au système d’enseignement post-secondaire pourrait diminuer, ce qui pourrait nuire à la contribution du secteur à la croissance économique par le biais de la recherche et du développement.
- Les gens pourraient chercher d’autres formes de formation dans de nouveaux créneaux qui semblent offrir une mobilité ascendante. Les prestataires non traditionnels, y compris les entreprises privées, pourraient surpasser les acteurs traditionnels de l’enseignement post-secondaire en attirant les consommateur·rices.
- Les motivations qui poussent les gens à s’inscrire dans des établissements d’enseignement ou des programmes de formation peuvent changer. Par exemple, l’espoir de progresser dans sa carrière ou d’augmenter ses revenus pourrait devenir moins important que la recherche d’un épanouissement personnel ou l’amélioration de la santé mentale. Cela pourrait avoir des conséquences positives pour les individus, mais l’ÉPS pourrait être de moins en moins en phase avec le marché du travail.
3.6 Les gens pourraient rejeter des systèmes qui, selon eux, les ont laissés tomber
- Les personnes qui travaillent dur mais ne sont guère récompensées pourraient chercher des gens à blâmer.
- Certaines personnes peuvent accuser l’intelligence artificielle (IA), les grandes technologies, les PDG, les médias sociaux, les syndicats ou le capitalisme. Elles pourraient exiger des réglementations plus strictes, des pénalités fiscales ou des révisions profondes de certains systèmes.
- Certain·es peuvent blâmer l’État. Ils ou elles peuvent s’attaquer à des politiques considérées comme favorisant les cohortes plus âgées, qui ont bénéficié de l’ère de la mobilité sociale. Dans les cas extrêmes, les gens pourraient rejeter la légitimité de l’État, ce qui entraînerait des taux plus élevés d’évasion fiscale ou d’autres formes de désobéissance civile.
- Certain·es peuvent choisir de reprocher ceux et celles qui possèdent un capital, qu’il soit social, économique ou décisionnel.
- D’autres choisiront de blâmer les immigré·es ou un autre groupe identifiable. Si cette désignation de boucs émissaires se généralise, elle pourrait engendrer de graves conflits sociaux ou politiques.
4.0 Conclusion
Le déclin de la mobilité sociale pourrait poser de sérieux défis pour les citoyen·nes et les décideur·euses politiques. Ce que les gens croient est aussi important que la réalité. Cela est souvent à la base des décisions et des actions. Actuellement, la plupart des Canadien·nes pensent encore qu’ils et elles bénéficient de l’égalité des chancesNote de fin de texte 6. Cela pourrait changer.
Les gens pourraient perdre confiance en le projet canadien. Ils pourraient rejeter les politiques qui favorisent l’éducation, l’emploi ou l’accession à la propriété. Les leviers habituels pourraient sembler peu judicieux et inutiles à ceux et celles qui ont abandonné l’idée de « monter ». Ces personnes pourraient perdre la volonté de s’améliorer et d’améliorer leurs communautés. D’autres pourraient adopter des idées radicales sur la restructuration de l’État, de la société et de l’économie.
Cependant, la perte de la croyance en la mobilité sociale pourrait aussi faire place à des idées positives. Les gens pourraient repenser ce que signifie la « prospérité » ou l’« épanouissement ». Ils pourraient rejeter la consommation ostentatoire. Ils pourraient se concentrer sur les politiques qui favorisent l’épanouissement humain. Cela pourrait inclure les soins de santé, le logement, l’environnement et l’éducation en soi.
Remerciements
Ce dossier de prospective synthétise les réflexions, les idées et les analyses de nombreux contributeurs et contributrices dans le cadre de recherches, de conversations et de sondage.
Horizons de politiques Canada souhaite remercier les membres du comité directeur des sous-ministres et le sous-ministre adjoint principal, Elisha Ram, pour leurs conseils, leur soutien et leur expertise, ainsi que tous les collègues qui ont contribué à l’élaboration de ce travail.
Nous remercions les nombreux expert.e.s qui ont généreusement donné de leur temps pour soutenir ce travail.
Un remerciement spécial est adressé à l’équipe du projet :
Jennifer Lee, analyste, recherche en prospective
Christopher Hagerman, gestionnaire intérimaire, recherche en prospective
Rami Sarakbi, analyste, recherche en prospective
Simon Robertson directeur, recherche en prospective
Tieja Thomas, gestionnaire, recherche en prospective
Kristel Van der Elst, directrice générale
Et aux collègues actuel.le.s et ancien.ne.s d’Horizons de politiques suivant.e.s : Mélissa Chiasson, Laura Gauvreau, Irene Jellissen.
© Sa Majesté le Roi du chef du Canada, 2025
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Horizons de politiques Canada (Horizons de politiques) est le centre d’excellence en prospective du gouvernement du Canada. Notre mandat est de doter le gouvernement du Canada d’une perspective et d’un état d’esprit tournés vers l’avenir afin de renforcer la prise de décisions. Le contenu de ce document ne représente pas nécessairement le point de vue du gouvernement du Canada ou des agences et ministères participants.