Le bionumérique aujourd’hui et demain

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1.0 Avant-propos
La pandémie de COVID-19 s’avère être un puissant moteur de changement. Elle provoque la création d’innovations bionumériques comme la biosurveillance en temps quasi réel de la propagation du virus et de ses mutations, le suivi de la progression de la pandémie à l’aide des téléphones intelligents et le développement de vaccins à base d’acide ribonucléique messager (ARNm) à une vitesse sans précédent. La convergence bionumérique, soit la fusion des systèmes biologiques et des technologies numériques, remet en question notre perception de nous-mêmes et du monde dans lequel nous vivons.
En complément de notre premier rapport sur le sujet, Explorer la convergence bionumérique, ce rapport présente quelques-uns des changements que nous pourrions observer à mesure que la convergence bionumérique évolue et donne lieu à de nouvelles réalités. Il explore les incidences potentielles de la convergence bionumérique sur les secteurs de la santé, de l’alimentation et de l’agriculture, de l’environnement, de la fabrication et de la sécurité. Ces impacts pourraient avoir des répercussions dans de nombreux secteurs politiques : le commerce international, les soins de santé, le passage à une économie à faible intensité de carbone, la gestion des ressources naturelles, et bien d’autres encore.
Horizons de politiques Canada (Horizons de politiques) ne fournit pas de recommandations ou de conseils en matière de politiques. Guidé par son mandat, l’organisme explore ce qui pourrait se produire dans le futur paysage politique, afin d’aider le gouvernement du Canada à élaborer des politiques et des programmes axés sur l’avenir et à se préparer à d’éventuels changements radicaux et perturbateurs.
Nous espérons que vous trouverez ce rapport instructif et inspirant. En étudiant ce qui pourrait arriver, nous pouvons aider les Canadiens et les décideurs à réfléchir à l’avenir que nous souhaitons et à ceux que nous voulons éviter.
Au nom d’Horizons de politiques Canada, je tiens à remercier ceux qui nous ont généreusement fait don de leur temps et fait part de leurs connaissances et de leurs réflexions.
Kristel Van der Elst
Director General
Policy Horizons Canada
2.0 Résumé
Les systèmes biologiques et numériques se rejoignent en profondeur, créant un nouveau domaine appelé le bionumérique. La technologie numérique et les êtres vivants sont de plus en plus capables de communiquer entre eux. Nous pouvons intégrer la technologie numérique dans des organismes vivants et incorporer des composantes biologiques dans les nouvelles technologies. Les modifications génétiques d’éléments naturels pour atténuer les effets du changement climatique, assainir l’environnement ou préserver la biodiversité pourraient cependant poser question au plan de l’éthique.
Les contours de l’ère bionumérique à venir se précisent. Le présent rapport explore les moteurs de changement et la manière dont la convergence bionumérique pourrait transformer 5 secteurs économiques et domaines de la vie.
Il examine certains des changements que nous pourrions observer dans chaque domaine, les perturbations importantes que nous pourrions connaître à l’avenir, et les considérations d’ordre politique qui pourraient voir le jour. Ce rapport évalue également la manière dont la pandémie de COVID-19 pourrait accélérer la convergence bionumérique.
Alimentation
L’agriculture traditionnelle dépend du territoire, de l’eau et d’un climat approprié. À l’avenir, les aliments pourraient être fabriqués à n’importe quel endroit dans des laboratoires et des fermes verticales, ce qui pourrait fondamentalement transformer le secteur agricole, le commerce international, les migrations ainsi que les relations des gens avec la terre, les animaux et la nourriture.
Santé
La convergence bionumérique pourrait faire progresser rapidement les traitements ciblés et la médecine de précision fondée sur les profils génomiques, ce qui permettrait d’améliorer les soins préventifs et de traiter les maladies avec une grande efficacité. En même temps, la convergence bionumérique donne également lieu à des considérations liées à l’inclusivité et à l’éthique, entre autres.
Environnement
Le changement climatique, la pollution et la perte de biodiversité sont largement reconnus comme des enjeux mondiaux urgents. Les modes de production et de consommation non durables d’aujourd’hui mettent en danger le bien-être socioéconomique à long terme. Les technologies bionumériques pourraient augmenter notre capacité de nous rapprocher du monde naturel et de le surveiller. Elles pourraient aussi étendre notre compréhension des liens qui unissent tous les êtres vivants. La modification génétique du monde naturel comme moyen d’atténuer le changement climatique, d’assainir l’environnement et de préserver la biodiversité peut toutefois soulever des considérations d’ordre éthique. En outre, la dissémination d’organismes modifiés dans des environnements naturels peut avoir des conséquences inconnues.
Sécurité
Les innovations et les capacités bionumériques naissantes créent à la fois de nouvelles frontières et des préoccupations potentielles dans le domaine de la sécurité et de la défense. Alors que près de 5 milliards de personnes sont connectées à Internet, la surveillance numérique et la collecte de données ont considérablement augmenté au cours de la dernière décennie. L’essor des données biologiques peut ajouter un nouveau degré de complexité à la sécurisation de données personnelles potentiellement précieuses. L’augmentation du nombre de données accessibles peut également faciliter les enquêtes criminelles et créer une société plus sûre.
Fabrication
La fabrication reposait historiquement sur le travail d’ouvriers d’usine qui transformaient des ressources naturelles initialement extraites des mines, des forêts et des eaux ou cultivées dans des exploitations agricoles. Les différences de coût de la main-d’oeuvre et la répartition naturelle des ressources ont eu des implications sur notre vaste réseau de chaînes d’approvisionnement mondiales. La convergence bionumérique pourrait transformer le secteur des ressources naturelles grâce à de nouvelles méthodes de fabrication et d’obtention des matières premières et des carburants, ainsi qu’à de nouvelles techniques de fabrication, ce qui pourrait atténuer la pression sur les ressources naturelles. Une production et une distribution locales des biens et des carburants pourraient soutenir la relocalisation du secteur de la fabrication et transformer le commerce, perturbant ainsi les réseaux commerciaux et les chaînes d’approvisionnement.
La pandémie de COVID-19 agit comme un moteur du changement qui accélère la transition vers un monde bionumérique. Elle a sensibilisé la population, les gouvernements et l’industrie à la biologie et à ses multiples usages. Elle révèle les risques de la désinformation et la nécessité des connaissances en biologie. Elle place les capacités de biodéfense et l’autosuffisance nationale au premier plan des préoccupations des gouvernements. En outre, elle a obligé les sociétés à réévaluer l’équilibre entre la biosécurité et les libertés individuelles.
Le rythme de la convergence bionumérique dans les années à venir dépendra non seulement des progrès technologiques, mais aussi de l’acceptation sociale, et la pandémie a démontré que des événements inattendus peuvent déclencher des changements rapides dans la sphère de ce qui est largement considéré comme acceptable ou souhaitable. À l’avenir, nous ne verrons peut-être plus les technologies numériques et les systèmes biologiques comme des éléments distincts, mais plutôt comme des éléments qui s’entrelacent, normalisant davantage le monde bionumérique dont les générations futures pourraient hériter.
3.0 Introduction
Le présent rapport poursuit le travail de notre document d’orientation intitulé Explorer la convergence bionumériqueNotes de fin de page1, qui explorait la façon dont les systèmes biologiques et la technologie numérique convergent d’une manière qui pourrait changer notre façon de vivre, de comprendre et de donner un sens à nos vies et d’évoluer, ainsi que les capacités et les caractéristiques possibles des innovations bionumériques. Nous avons relevé 3 voies par lesquelles la convergence bionumérique se concrétise :
1. Intégration physique complète d’entités biologiques et numériques
Il s’agit de l’intégration de la technologie numérique dans des organismes ou de l’incorporation de composantes biologiques dans des technologies. Parmi les exemples, citons les robots dotés d’un cerveau biologique, les implants numériques chez les êtres humains et les systèmes de contrôle neurologique chez les insectes. Les technologies numériques peuvent améliorer les capacités naturelles des êtres vivants.
2. Évolution conjointe de technologies biologiques et numérique
Elle se produit lorsque les avancées dans un domaine génèrent des progrès dans un autre, et vice versa. La technologie numérique et le monde naturel s’échafaudent mutuellement, favorisant des percées communes et une évolution conjointe. Parmi les exemples, citons les nouvelles découvertes sur le fonctionnement du cerveau, qui ont inspiré le développement des réseaux neuronaux, et l’intelligence artificielle (IA), qui a découvert des modèles dans les séquences de gènes, ce qui a permis de mieux comprendre le rôle des gènes.
3. Évolution cognitive des systèmes biologiques et numériques
Il s’agit de l’évolution de la perspective selon laquelle la convergence du monde naturel et de la technologie numérique devient normalisée. Nous pourrions continuer à considérer ces systèmes comme un seul nouveau domaine intégré. Les progrès réalisés dans notre compréhension des systèmes biologiques et dans la création de nouvelles capacités numériques comme l’IA donnent lieu à une convergence bionumérique conceptuelle.
Dans le présent rapport, nous examinons en détail comment la convergence bionumérique pourrait remodeler 5 domaines : l’alimentation, la santé, l’environnement, la sécurité et la fabrication. Nous examinons les secteurs dans leur forme actuelle, nous étudions les changements que la convergence bionumérique apporte à chaque secteur et ce qui pourrait les transformer à l’avenir. Nous soulignons également les incertitudes critiques et les possibilités futures, ainsi que les considérations d’ordre politique.
Dans le cadre de notre travail sur ce rapport, nous avons vécu la première urgence mondiale de l’ère bionumérique. Dans la dernière partie du rapport, nous nous penchons sur la pandémie de COVID-19 comme accélérateur important de la révolution bionumérique, qui accroît les investissements dans la recherche, sensibilise le public aux menaces biologiques, modifie les perceptions de ce qui est socialement possible et place la santé publique au centre de la gouvernance nationale.
Les contours de l’ère bionumérique à venir se précisent peu à peu, et la transition vers cette ère sera inévitablement perturbatrice. En réfléchissant dès maintenant aux trajectoires possibles de la convergence bionumérique, nous espérons réduire les risques et exploiter les opportunités pour le Canada et le monde entier.
4.0 Alimentation
L’agriculture traditionnelle dépend du territoire, de l’eau et d’un climat approprié. À l’avenir, les aliments pourraient être fabriqués à n’importe quel endroit dans des laboratoires et des fermes verticales, ce qui pourrait fondamentalement transformer le secteur agricole, le commerce international, les migrations ainsi que les relations des gens avec la terre, les animaux et la nourriture.
La demande et le commerceNotes de fin de page2 de denrées alimentaires devraient augmenter avec la croissance de la populationNotes de fin de page3. De nombreux pays risquent d’être confrontés à des problèmes de sécurité alimentaire provoqués par le changement climatique, alors que les phénomènes météorologiques extrêmes et les maladies pourraient nuire à la production agricole traditionnelle. Les conflits régionaux pourraient également perturber les échanges commerciaux et les modes de production alimentaires à l’échelle internationale. Les systèmes alimentaires ont également des répercussions sur l’environnement, notamment l’utilisation des terres, la déforestation, la pollution de l’eau et les émissions de gaz à effet de serre, tandis que les chaînes d’approvisionnementNotes de fin de page4 opaques augmentent le risque de maladiesNotes de fin de page5 d’origine alimentaire.
4.1 Comment la convergence bionumérique change-t-elle l’alimentation
Les innovations bionumériques ont le potentiel de modifier la façon dont nous produisons les aliments, d’intégrer de nouveaux types d’aliments sur le marché et de perturber les chaînes d’approvisionnement existantes.
Voici quelques-unes des façons dont le bionumérique change notre façon de produire, de cultiver, de fabriquer et de comprendre la nutrition et l’alimentation.
Aliments produits en laboratoire. L’agriculture cellulaire permet de créer en laboratoire des bioproduits alternatifs et identiques aux protéines animales, comme les fruits de mer, la viande et les produits laitiers. Cette technique comprend la culture de cellules animales dans un bioréacteur et leur transformation en tissus adipeux et musculaires. La viande cultivée en laboratoire et les substituts de viande d’origine végétale peuvent également être imprimés en 3 dimensions (impression en 3D)Notes de fin de page6.
Le prix des hamburgers de bœuf cultivé en laboratoire a grandement chuté au cours des dernières années et s’approchentNotes de fin de page7 de celui des hamburgers traditionnels, en particulier lorsque les cellules de viande sont associées à des protéines végétales. En 2020, le premier restaurant au monde à servir de la viande produite en laboratoireNotes de fin de page8 a ouvert ses portes à Tel AvivNotes de fin de page9, et Kentucky Fried Chicken a annoncé son intention de vendre des croquettes imprimées en 3DNotes de fin de page10. Des entreprises travaillent sur le saumonNotes de fin de page11, le thonNotes de fin de page12, les crevettesNotes de fin de page13, les produits laitiersNotes de fin de page14, les aliments pour animaux de compagnieNotes de fin de page15 et même du lait maternel humainNotes de fin de page16produits en laboratoire, une alternative potentielle aux préparations pour nourrissons. La mise à l’échelle des bioréacteurs reste le principal défiNotes de fin de page17 technologique et des organisations chinoisesNotes de fin de page18 et israéliennesNotes de fin de page19 investissent massivement dans la recherche.
Régimes alimentaires individualisés basés sur le profil génétique. Les progrès de la nutrigénomiqueNotes de fin de page20, soit l’étude des relations entre les gènes, la nutrition et la santé, pourraient permettre aux gens de faire des choix en matière de santé, de régime alimentaire et de mode de vie en fonction de leur profil génétique.
Des entreprises en démarrage proposent des conseils diététiques personnalisésNotes de fin de page21 basés sur l’ADN, les informations sur le mode de vie et l’analyse du microbiome intestinal. Un restaurant de Tokyo utilise l’analyse de la salive, de l’urine et des matières fécales des clients pour évaluer leurs besoins nutritionnels et imprimer en 3D des sushis personnalisés basés sur le biomeNotes de fin de page22 NestléNotes de fin de page23 investit dans la recherche sur le microbiome et l’IA qui permet de créer des plans de soins personnalisés. Les gens peuvent acheter des pilules vitaminées adaptéesNotes de fin de page24 à leur génome, et pourront un jour imprimer en 3D ces types de compléments alimentaires à domicile. La diminutionNotes de fin de page25 du coût du séquençage du génome rendra les régimes alimentaires et les choix de mode de vie personnalisés plus largement accessibles.
Agriculture de précision et numérique. Une combinaison de technologies pourrait influencer ou modifier le mode de fonctionnement des industries agricoles, ainsi que la manière et le lieu de production des aliments. La productivité productivityNotes de fin de page26 agricole pourrait devenir plus précise grâce à la technologie, qu’il s’agisse de robots inspectant les plantes individuellesNotes de fin de page27, repérant les parasites et les maladiesNotes de fin de page28, ou rassemblant les animaux de fermeNotes de fin de page29, ou de donnéesNotes de fin de page30 optimisant les apports en engrais, ou encore de la traçabilitéNotes de fin de page31 grâce à la chaîne de blocs. Les fermes verticales dans lesquelles l’IANotes de fin de page32 contrôle la lumière et la température peuvent cultiver des centaines de fois plus de denrées alimentaires par acre que l’agriculture traditionnelle, tout en utilisant beaucoup moins d’eau.
Singapour a lancé une campagneNotes de fin de page33 visant à produire 30 % de son approvisionnement alimentaire d’ici à 2030 grâce à des aliments produits en laboratoire et à l’agriculture verticaleNotes de fin de page34. Des entreprises, des États-Unis à la ChineNotes de fin de page35, étudient comment la technologie CRISPR (« Courtes répétitions palindromiques groupées et régulièrement espacées ») pourrait adapter les cultures à des conditions particulières et améliorer leur résilienceNotes de fin de page36 face aux répercussions du changement climatique.
4.2 Qu’est-ce qui pourrait changer dans les systèmes alimentaires à l’avenir
À mesure que la convergence bionumérique progresse, elle pourrait remodeler les systèmes alimentaires en profondeur.
Possibilité de faire pousser n’importe quoi, n’importe où, n’importe quand. L’agriculture a toujours été dépendante de la disponibilité des terres, de l’eau ainsi que de conditions climatiques et géographiques particulières. Elle est limitée par les saisons et vulnérable à des variables indépendantes de la volonté de l’agriculteur, qu’il s’agisse des conditions météorologiques, des parasites ou des maladies.
Grâce aux nouvelles innovations bionumériques, ces contraintes pourraient ne plus conditionner la productivité agricole à l’avenir. La technologieNotes de fin de page37 de production de viande en laboratoire pourrait être déployée n’importe où, tout comme l’agriculture verticale où l’IA superviseNotes de fin de page38 des cultures génétiquement modifiées cultivées dans des environnements contrôlés avec précision.
Recherche de l’autosuffisance par les nations. Le commerce pourrait changer à mesure que les nations cherchent à atteindre l’autosuffisance alimentaire. Les pays importateurs de denrées alimentaires peuvent choisir de produire davantage d’alimentsNotes de fin de page39 à l’intérieur de leurs propres frontières, plutôt que de les importer de régions offrant de bonnes conditions de croissance naturelles, afin de réduire leur vulnérabilité aux différends commerciauxNotes de fin de page40 ou aux ruptures d’approvisionnement.
Comme plus de 75 %Notes de fin de page41 des terres agricoles sont utilisées pour l’élevage, les terres à faible rendement pourraient devenir des actifs délaissés et être remplacées par des solutions d’agriculture cellulaire. Nous pourrions de plus en plus produire des aliments à la demande et à proximité des consommateurs, potentiellement dans des bioréacteurs domestiques à petite échelle. Cela pourrait réduire considérablement la demande de transport ou de distribution d’aliments.
Fusion du régime alimentaire avec la santé préventive. Une meilleure compréhension du génome et du biome humains pourrait transformer la nutrition et avoir des répercussions sur les soins de santé, en donnant aux gens des informations de plus en plus détaillées leur permettant de personnaliser leur régime alimentaire afin d’optimiser leur santé.
L’augmentation du volume des données sur le génome et le biome qui sont recueillies et étudiées pourrait faire progresser notre compréhension du corps humain en tant que système complexe et faciliter la médecine préventive. Une base de données des génomes des consommateurs pourrait devenir un avantage concurrentiel pour certaines entreprises.
4.3 Matière à réflexion
Notre lien avec l’environnement. La convergence bionumérique pourrait modifier profondément la relation des gens avec la terre et les animaux. Au fil des siècles, les conditions de l’agriculture ont façonné les lieux d’implantation des populations. Notre capacité croissante de produire des aliments indépendamment des conditions climatiques pourrait modifier la valeur que les gens accordent à la terre, ainsi que les modèles d’urbanisation ou de ruralisation.
La technologie de production alimentaire locale offre aux communautés isolées la possibilité d’être autosuffisantes et de produire des aliments traditionnels selon de nouvelles méthodes. L’aménagement des terres agricoles à d’autres fins pourrait augmenter, tandis que l’élevage de poissons en laboratoire pourrait permettre de rétablir certains stocks de poissons dans les océans. La production de viande en laboratoire à un prix abordable pourrait entraîner un changement d’attitude à l’égard de l’éthique de l’élevage industriel et, plus généralement, de nos relations avec les animaux. Elle pourrait modifier le rôle de la culture et des cérémonies dans la production et la consommation alimentaires, à savoir notre mode de production, de récolte et d’expérience des aliments, ainsi que nos liens avec eux.
Transformation de l’expérience de la nourriture. La convergence bionumérique pourrait transformer notre perception de la nourriture et la façon dont nous nous y associons. Si les aliments cultivés en laboratoire visent actuellement à imiter les aliments qui nous sont familiers, ils ouvrent la voie à la création de produits comestibles d’un genre entièrement novateur, dont le goût, la texture et les nutriments seront nouveaux. Les gens pourraient fabriquer des aliments « programmables » en fonction de leurs goûts et de leurs besoins. Les technologies bionumériques pourraient permettre aux gens de pirater par voie biologique leurs propres papilles gustatives afin de modifier les goûts qu’ils trouvent agréables, de les orienter vers des aliments sains et de créer de nouvelles cultures alimentaires.
4.4 Incertitudes critiques et possibilités futures
Divers facteurs pourraient influencer l’ampleur et la nature de l’acceptation ou du rejet des innovations bionumériques. Voici quelques exemples d’incertitudes possibles qui pourraient mener à différents scénarios dans l’avenir.
Acceptation sociétale : Est-ce qu’il y aura un consensus social sur l’adoption de nouvelles technologies?
- Les consommateurs pourraient se tourner de plus en plus vers des aliments sainsNotes de fin de page42, respectueux de l’environnement et produits de manière éthique. Étant donné que les fermes verticales ont besoin de moins de terres, d’eau et de pesticides, et que la viande produite en laboratoire n’entraîne pas d’émissions de méthane, ni de problèmes éthiques ou sanitaires liés à l’élevage industriel, pourrait-on assister à un engouement pour les nouvelles méthodes de production alimentaire
- les premières expériences négatives des cultures modifiées par la méthode CRISPR et de la viande de culture pourraient-elles nuire à l’acceptation par le public? La modification génomique des plantes par la méthode CRISPR sera-t-elle plus ou moins acceptée par le publicNotes de fin de page43 que les cultures d’organismes génétiquement modifiées (« OGM ») des années 1990
- Comment évaluer les considérations et les valeurs éthiques par rapport aux possibilités économiques du bionumérique
Écosystème commercial : Comment les acteurs existants pourraient-ils remodeler leurs modèles opérationnels? Comment les secteurs connexes pourraient-ils évoluer, et quels nouveaux acteurs pourraient se manifester?
- Les grandes entreprises agricoles existantes s’adapteront-elles et conserveront-elles leur position, ou de nouveaux entrants issus d’autres secteurs, comme les produits pharmaceutiques et les grandes technologies, les dépasseront-ils
- Le rôle accru de la technologie pourrait-il permettre aux grandes entreprises technologiques d’occuper une position dominante dans le secteur agricoleNotes de fin de page44? Dans l’affirmative, quelle incidence cela pourrait-il avoir sur les chaînes d’approvisionnement alimentaire et les choix des consommateurs
Main d’oeuvre, expertise et le marché du travail : Y aura-t-il suffisamment de talents pour développer de nouveaux marchés et de nouvelles activités? Où seront les talents du bionumérique?
- Comment les marchés du travail s’adapteront-ils si la numérisation de la production alimentaire rend certains emplois agricoles obsolètes tout en créant une demande de nouvelles compétences
- Avec quelle facilité les programmes d’enseignement en sciences de l’agriculture et de l’alimentation intégreront-ils les technologies bionumériques telles que l’agriculture verticale, l’IA, la robotique ou les aliments cultivés en laboratoire
4.5 Considérations d’ordre politique
L’essor de la convergence bionumérique pourrait avoir des impacts sur de nombreux domaines politiques. Les points suivants ne sont pas des recommandations politiques, mais plutôt des sujets à envisager, des questions et des idées qui visent à inciter à la réflexion.
Réglementation en matière de sécurité alimentaire et conseils nutritionnels
- De nouveaux types de production, de fabrication et de chaînes d’approvisionnement alimentaires pourraient donner lieu à de nouvelles procédures d’emballage, de stockage, de transport, de refroidissement, de manipulation, de préparation, de cuisson et d’assainissement. Les acteurs pourraient également utiliser la technologie de la chaîne de blocs pour assurer la traçabilité et rendre la chaîne d’approvisionnement plus transparente. Cette technologie pourrait également aider les consommateurs à accéder aux informations sur les ingrédients
- De nouvelles catégories d’aliments d’origine végétale et animale pourraient découler de l’utilisation des modes de production bionumériques et des données biologiques pour produire de nouveaux types d’aliments personnalisés, ce qui pourrait avoir une incidence sur ce que nous considérons comme des aliments sains et sur les guides nutritionnels actuels, comme le Guide alimentaire canadien, et entraîner l’apparition de nouvelles valeurs nutritives sur les étiquettes
Commerce international, souveraineté alimentaire et chaînes d’approvisionnement
- Les technologies alimentaires bionumériques peuvent aider les pays qui dépendent fortement des importations alimentaires à améliorer leur souveraineté alimentaire, ce qui pourrait réduire le commerce des denrées alimentaires à l’échelle mondial et avoir des répercussions économiques sur les plus grands pays producteurs de produits agricoles. Le potentiel d’exportation et d’importation des produits alimentaires bionumériques pourrait également amener les partenaires commerciaux à repenser l’étiquetage des aliments
- Les modes de production alimentaire bionumériques pourraient perturber les chaînes d’approvisionnement existantes à l’échelle nationale et mondiale. L’augmentation de la production alimentaire bionumérique locale pourrait également réduire la distribution et le transport des aliments
- La numérisation et l’automatisation croissantes des processus de production alimentaire et des ingrédients au moyen des innovations bionumériques naissantes, comme les imprimantes alimentaires 3D et les plateformes en ligne, pourraient augmenter considérablement la capacité de production alimentaire personnelle et commerciale. La production alimentaire bionumérique à domicile pourrait nécessiter de nouvelles mesures de sécurité. Les pays dont la croissance repose en partie sur les terres arables et les régions rurales devront peut-être examiner la résilience économique de la production alimentaire traditionnelle face aux nouvelles possibilités de production alimentaire
Propriété intellectuelle et protection des renseignements personnels
- Les technologies numériques comme l’IA et l’analyse des mégadonnées pourraient augmenter le nombre de brevets pour des saveursNotes de fin de page45 et des recettesNotes de fin de page46 personnaliséesNotes de fin de page47
- Les banques de données génomiques sécurisées pourraient devenir de plus en plus courantes. Les gens pourraient s’inquiéter des conséquences sur la protection des renseignements personnels et de la diffusion des données génomiques auprès des acteurs de la chaîne d’approvisionnement alimentaire
- Les systèmes mondiaux d’indemnisation et de protection peuvent contribuer à prévenir les pratiques de clonage alimentaire bionumérique. Citons, par exemple, le séquençage de l’appellation d’origineNotes de fin de page48 des produits alimentaires pour la production locale ou la production de boeuf de Kobe en laboratoire
Empreinte environnementale et aménagement du territoire
- Les terres agricoles peuvent être délaissées et réaffectées à mesure que nous produisons davantage d’aliments dans des installations agricoles verticales ou au moyen de l’agriculture cellulaire
- Les cultures génétiquement modifiées et l’agriculture numérique (capteurs, robots) pourraient réduire l’utilisation d’engrais, de pesticides et d’herbicides
- L’empreinte environnementale de la production et de la consommation alimentaires bionumériques naissantes, comme l’agriculture cellulaire, les cultures génétiquement modifiées, l’agriculture verticale et l’agriculture numérique, peut être différente de celle du système alimentaire actuel. De nouvelles innovations pourraient contribuer à la réalisation des objectifs relatifs au changement climatique. Cependant, les transitions peuvent être coûteuses et augmenter la demande d’électricité
5.0 Santé
La convergence bionumérique pourrait faire progresser rapidement les traitements ciblés et la médecine de précision fondée sur les profils génomiques, ce qui permettrait d’améliorer les soins préventifs et de traiter les maladies avec une grande efficacité. En même temps, la convergence bionumérique soulève entre autres des considérations liées à l’inclusivité et à l’éthique.
Les coûts des soins de santé devraient continuer à augmenter au cours des 15 prochaines années en raison de facteurs tels que la croissance démographique, la la baisse de la féconditéNotes de fin de page49, le vieillissement, les maladies dégénératives et l’utilisation croissante de médicaments coûteux et nouvellement brevetésNotes de fin de page50. La pénurie de main-d’oeuvreNotes de fin de page51 du secteur devrait se poursuivre en raison de l’augmentation de la demande de soins à domicile et de l’épuisement professionnel des travailleurs de la santé, conséquence de la pandémie de COVID-19Notes de fin de page52. Selon la trajectoire actuelle, les hôpitaux et les systèmes de soins de santé continueront d’être surchargés, le cadre de la santé publique pourrait s’élargir et les innovations naissantes pourraient entrer dans le champ d’application des mandats de santé, exerçant une pression accrue sur les systèmes de santé publique.
5.1 Comment la convergence bionumérique change-t-elle la santé
Les innovations technologiques dans le domaine bionumérique vont continuer à progresser et fusionner. Les paragraphes suivants présentent quelques innovations qui pourraient avoir une incidence sur l’avenir intégré et complexe de la santé humaine.
Organes synthétiques et implants numériques. Des parties du corps et des implants personnalisés pourraient offrir de nouvelles possibilités de transplantation. En 2019, plus de 4 000 CanadiensNotes de fin de page53 figuraient sur une liste d’attente pour une transplantation d’organe. Les organes humains peuvent désormais être imprimés en 3DNotes de fin de page54 ou produits dans des porcsNotes de fin de page55 génétiquement modifiés. Les organismes de réglementation de l’UE ont approuvéNotes de fin de page56 le premier coeur entièrement artificiel en 2020. Les vaisseaux sanguinsNotes de fin de page57 artificiels pourraient aider à traiter les maladies cardiovasculaires. La peau artificielle, fabriquée à partir de composants électroniquesNotes de fin de page58 extensibles capables de détecter la chaleur et la pression, pourrait améliorer les prothèses et les greffes de peau. Ces technologies pourraient permettre non seulement aux gens de résoudre des problèmes médicaux, mais aussi d’obtenir des parties du corps personnalisées aux capacités améliorées.
Les implants cérébraux qui peuvent être rechargés sans filNotes de fin de page59 pourraient transformer le traitement des maladies neurologiques. Les puces implantées sont déjà utilisées pour surveiller la santé et déverrouiller les téléphones intelligents. Des implants comme le dispositif NeuralinkNotes de fin de page60 pourraient accroitre les sens de l’être humain, nous permettant de « sentir »Notes de fin de page61 des membres bioniques, ou d’interagir avec des espaces virtuels selon de nouvelles modalités. Ils pourraient également conduire à de nouveaux traitements pour les maladies mentales comme la dépressionNotes de fin de page62. Les interfaces cerveau-ordinateur nous permettent de communiquer avec des dispositifs compatibles avec l’IA; par exemple, elles peuvent permettre aux aveugles de percevoir des imagesNotes de fin de page63 à travers un oeil artificiel. Ces technologies pourraient contribuer à régénérer ou à améliorer le corps humain.
La CRISPRisation des êtres humains. En tant qu’outil de rechercheNotes de fin de page64, la technologie de modification du génome CRISPR nous aide à comprendre le rôle de l’ADN dans les maladies humaines. Les chercheurs médicaux explorent le potentiel de cette technologie de lutter contre les virusNotes de fin de page65, de détruire les cellules cancéreusesNotes de fin de page66, de surmonter les problèmes immunitaires qui entravent la thérapie géniqueNotes de fin de page67 et de traiter des maladies comme l’acnéNotes de fin de page68 et la cécitéNotes de fin de page69. La technologie CRISPRoff nous permet de désactiver l’expression géniqueNotes de fin de page70, ce qui empêche effectivement une personne de contracter une maladie à laquelle elle est génétiquement prédisposée, comme la maladie d’Alzheimer. En outre, cette technologie pourrait permettre de désactiver des marqueurs épigénétiques tout en laissant le brin d’ADN intact.
La technologie CRISPR pourrait de plus en plus donner aux gens la possibilité de coder leur propre ADN et celui de leurs enfants. Certains parents pourraient souhaiter donner à leurs enfants une résistance aux maladies, une intelligence accrue et d’autres capacités. Selon un sondageNotes de fin de page71 international, on constate un niveau élevé de soutien à l’utilisation de cette technologie pour prévenir les maladies génétiques rares chez les bébés, mais une opposition à son utilisation pour améliorer l’intelligence d’un bébé. Le soutien ou le rejet de l’édition génique dépend en partie de la nationalité, du sexe, des caractéristiques démographiques, de la religion et de l’éducation. Les modifications génétiques de la progéniture font l’objet de considérations et de débats éthiques à des niveaux variablesNotes de fin de page72. L’utilisation de cette technologie chez l’être humain fait actuellement l’objet d’interdictions internationales généralisées, mais l’Organisation mondiale de la Santé dispose d’un comité consultatifNotes de fin de page73 qui examine les normes mondiales, y compris la surveillance et les considérations d’ordre éthique relatives à l’édition du génome humain.
Suivi de la santé humaine en temps réel. Le marché des technologies de la santé innove activement pour trouver des solutions qui peuvent appuyer les mesures préventives en matière de santé. Les technologies portables qui surveillent la santé physique peuvent de plus en plus suivre et compiler davantage de données de santé en temps réel. L’IA peut suivre les humeurs et la santé mentaleNotes de fin de page74 en analysant la voix et les expressions du visage. Des chercheurs mettent au point des trousses d’analyse de l’ADN qui se branchent sur les téléphones intelligentsNotes de fin de page75 et pourraient permettre de suivre les maladies.
L’apprentissage automatiqueNotes de fin de page76 pourrait traiter les données recueillies automatiquement dans le nuage à partir de capteurs, de moniteurs et d’implants à l’échelle nanométrique dans le corps d’un patient. L’accroissement des connaissances sur le microbiome humain, à savoir les dizaines de billionsNotes de fin de page77 de micro-organismes qui vivent à l’intérieur du corps humain, permet de développer les traitementsNotes de fin de page78, la recherche et les prescriptions relatives au mode de vie.
5.2 Qu’est-ce qui pourrait changer dans les systèmes de soins de santé à l’avenir
À mesure que la convergence bionumérique progresse, elle pourrait remodeler les systèmes de santé en profondeur.
Médecine régénérative. Nous pouvons observer la capacité de faire repousser des membres perdus ou de réparer des organes endommagés chez certains animaux comme les lézards et les amphibiens. Les mêmes voies de signalisation cellulaire que l’on trouve chez les animaux capables de se régénérer sont également présentes chez l’être humainNotes de fin de page79, et des modifications peuvent entraîner une croissance des tissus plutôt qu’une cicatrisation. La recherche sur les cellules souches est également sur le point de produire des organes entiers, en commençant par de petits organoïdesNotes de fin de page80 qui peuvent actuellement remplir certaines fonctions des organes plus gros.
Les bases de données d’ADN pourraient devenir une source de revenus et de sécurité sanitaire. Dans les années à venir, il pourrait être possible et relativement simple de recueillir des informations sur l’ADN à l’aide d’un téléphone intelligent. À mesure que les données biologiques deviendront omniprésentes, les questions entourant la collecte, l’utilisation, la conservation et la divulgation des données deviendront cruciales. Les applications, les montres intelligentes et les téléphones recueillent déjà des données biologiques en dehors du secteur traditionnel des soins de santé; l’interaction des commerces et des consommateurs avec les données biomiques ou génomiques constituerait une extension de cette collecte de données. Des marchés de données génétiquesNotes de fin de page81 basés sur des chaînes de blocsNotes de fin de page82 pourraient voir le jour, permettant aux particuliers ou à des fiducies de données désignées de communiquer des informations génomiques à des sociétés, à des chercheurs universitaires et même à des gouvernements en échange d’avantages ou de paiements.
Les bases de données d’ADN pourraient fournir de nouvelles informations sur les liens complexes entre les gènes et les maladies. Les données génomiques pourraient être une source de pouvoir ou d’avantage économique dans les économies futures, la santé et les soins de santé continuant à être de plus en plus prioritaires. Les données biologiques ouvertes ou les mégadonnées recueillies à partir de plateformes provenant de particuliers pourraient favoriser le développement de nouvelles thérapies, mais peuvent également créer des risques liés à la protection des renseignements personnelsNotes de fin de page83 et à l’obligation de rendre compte. Les possibilités de collaboration et de communication des données en vue d’une plus grande efficacité médicale et de meilleurs soins pourraient se heurter à des problèmes de protection des données individuelles et de confiance dans le système. Les données génomiques pourraient permettre la détectionNotes de fin de page84 des maladies avant leur manifestation, ce qui favoriserait des économies à long terme liées à la prévention dans les systèmes de santé.
L’industrie pharmaceutique pourrait commencer à se détournerNotes de fin de page85 des substances chimiques comme source de nouveaux médicaments et explorer la manipulation de l’ADN des organismes vivants comme traitementNotes de fin de page86. Les bases de données d’ADNNotes de fin de page87 pourraient devenir un atout stratégique et un apport pour le développement de nouveaux médicaments et thérapies.
Services de soins de santé à distance. Les Canadiens pourraient avoir accès à davantage de services de santé à distance. La COVID-19 a fait connaître la télémédecine et les outils de santé numériques auprès du grand public, rendant les patients plus à l’aise avec l’utilisation de la technologie pour gérer leurs besoins de santé. Au cours des 10 à 15 prochaines années, le développement technologique et l’augmentation de la proportion de personnes qui maîtrisent les technologies numériques pourraient accélérer considérablement la prestation de soins de santé à distance.
Des capteurs implantés pourraient surveiller la santé des gens 24 heures sur 24, en envoyant des données dans le nuage pour qu’elles soient analysées en vue d’un diagnostic et de conseils, ainsi que d’autres données, comme celles provenant de capteurs de qualité de l’air dans l’espace de travail, ou l’analyse de la santé mentale basée sur le comportement en ligne.
Les gens prennent le contrôle de leur évolution. La modification des cellules germinales, à savoir l’édition de gènes qui peuvent être transmis à la génération suivante, est actuellement interdite dans la plupart des paysNotes de fin de page88. Toutefois, cette interdiction pourrait être levée au fil du temps, à mesure que cette technologie améliore la résistance aux maladies ou les élimine de manière plus sûre, ce qui pourrait améliorer le bien-être et réduire les coûts des soins de santé. En outre, les nouveaux dispositifs et services bionumériques à faible coût pourraient permettre aux gens de faire l’expérience de la modification des cellules germinales à domicileNotes de fin de page89.
Dans un premier temps, l’utilisation de la technologie CRISPR pour éliminer les prédispositions génétiques aux maladies pourrait être considérée comme une extension de la pratique actuelle du dépistage préimplantatoire dans la fécondation in vitro. L’étape suivante pourrait consister à insérer des traits physiques ou psychologiques préférés avec une grande précision, en modifiant les cellules germinales du parent avant la conception plutôt qu’en modifiant l’embryon. Dans certains pays, les gouvernements pourraient chercher à inciter les citoyens à avoir des bébés en meilleure santé; avec le temps, cela pourrait conduire à un changement cognitif, où les gens considèrent la procréation « naturelle » comme une imprudence.
La manière dont nous voulons évoluer en tant qu’espèce et les conséquences qui pourraient en découler pourraient devenir des considérations d’ordre éthique importantes. Est-ce que l’eugénismeNotes de fin de page90, à savoir le processus d’élimination des gènes non désirés d’une population, pourrait devenir un dilemme moral?
5.3 Des choix sains
Biologie à faire soi-même. La convergence bionumérique pourrait ouvrir de nouvelles possibilités, permettant aux gens de choisir qui ils veulent être en piratant leur propre corps et leur propre espritNotes de fin de page91. La disponibilité et l’abordabilité croissantes des trousses CRISPR, les ressources libres en ligne et les dispositifs abordables ouvrent de nouvelles perspectives de biologie à faire soi-même afin de traiter, de modifier ou d’améliorer les capacités physiques ou mentales.
Cela pourrait constituer une menace majeure pour la santé publique, la biosécurité et la sûreté biologique. Des modifications génétiques imprudentes ou sans expertise pourraient nuire aux expérimentateurs et, s’ils modifient leurs cellules germinalesNotes de fin de page92, à leurs futurs enfants. S’il devient possible de sélectionner les traits des enfants et de combiner les apports d’ADN de plusieurs personnes, les motifs et les modèles de sélection traditionnels pour la procréation pourraient changer. Les implants qui activent les centres du plaisir du cerveau pourraient conduire à une nouvelle forme de dépendance. Les gens pourraient choisir de façonner non seulement la santé, mais aussi la personnalité des enfants, afin d’incarner certains systèmes de croyance. Dans l’exploration du mouvement de la biologie à faire soi-même, les considérations d’ordre éthique et les possibilités d’erreurs de procédure pourraient entraîner des conséquences involontairesNotes de fin de page93.
À plus long terme, les modifications génétiques qui parviennent à améliorer les capacités humaines pourraient déboucher sur des technologies permettant de créer une nouvelle « superclasse » d’êtres humains, ce qui élargirait considérablement les clivages sociétaux, voire les inégalités.
5.4 Incertitudes critiques et possibilités futures
Divers facteurs pourraient influencer l’ampleur et la nature de l’acceptation ou du rejet des innovations bionumériques. Voici quelques exemples d’incertitudes possibles qui pourraient mener à différents scénarios d’avenir.
Acceptation sociétale : Est-ce qu’il y aura un consensus social sur l’adoption de nouvelles technologies?
- Dans quelle mesure les gens peuvent-ils s’inquiéter des répercussions sur la sécurité et la protection des renseignements personnelsNotes de fin de page94 de l’accès aux données de santé
- Dans quelle mesure les cerveaux produits en laboratoireNotes de fin de page95 et d’autres organismes créés en laboratoire pourraient-ils devenir conscients ou déjà l’être? Quelles incidences éthiques pourraient découler des futures des sciences de la vie, ou même de l’artNotes de fin de page96, qui font appel à la biologie de synthèse
- Dans quelle mesure la possibilité de modifier nos propres gènes et nos fonctions cérébrales peut-elle remettre en question notre identité en tant qu’êtres humains
Écosystème commercial : Comment les acteurs existants pourraient-ils changer, quelle pourrait être l’évolution des secteurs connexes et quels nouveaux acteurs pourraient voir le jour?
- Dans quelle mesure les grandes entreprises technologiques pourraient-elles dominer dans le secteur de la santé et des soins de santé, alors que la logistique d’Amazon et les capacités d’apprentissage automatique de Google deviennent de plus en plus importantes au niveau de la recherche et du développement et des services de soins de santé
- Des individus pourraient-ils monétiser leurs données ADN sur une plateforme en ligne? Les marchés en ligne d’ADN pourraient-ils faire passer le gain financier tiré du partage des données biologiques des entreprises vers les particuliers
Déploiement économique : Comment les politiques, les normes et les idéologies peuvent-elles différer dans le monde, et quels conséquences ou avantages ces différences pourraient-elles avoir dans l’industrie et pour le statut socioéconomique?
- L’accès inégal aux nouvelles technologies d’augmentation humaine pourrait-il donner lieu à de nouvelles formes de croissance économique, d’inégalité et de discrimination
- L’augmentation humaine pourrait-elle contribuer à la productivité et être considérée comme un avantage concurrentiel? Comment les accords internationaux sur le travail et l’emploi répondraient-ils à une éventuelle adoption mondiale inégale de l’augmentation humaine
5.5 Considérations d’ordre politique
TL’essor de la convergence bionumérique pourrait influencer de nombreux domaines politiques. Les points suivants ne sont pas des recommandations politiques, mais plutôt des sujets à envisager, des questions et des idées qui visent à inciter à la réflexion.
Rôle de la réglementation
- L’augmentation de l’être humain pour le travail, les études ou le sport pourrait octroyer à certaines personnes des avantages injustes
- Les résultats d’IA provenant de la boîte noire de l’apprentissage automatiqueNotes de fin de page97 pourraient s’avérer problématiques dans l’application des technologies thérapeutiques numériques basées sur l’IA qui peuvent apprendre et s’automodifier en permanence. Il peut être difficile de faire confiance aux résultats sans s’assurer de l’absence de parti pris dans un diagnostic
- Les réseaux de biofonderies dans le monde pourraient réduire l’efficacité des réglementations nationales. Les données biologiques, les technologies d’automatisation, les plateformes et les laboratoires en nuageNotes de fin de page98 pourraient permettre aux organisations de délocaliser plus facilement certaines fonctions de recherche et développement vers des pays dotés ou non de réglementations éthiques
Participation du secteur public
- Les innovations bionumériques qui ont été développées en réponse à la pandémie de COVID-19, comme la collecte et le suivi des données sanitaires et la bioproduction, y compris les vaccins, les traitements et les chaînes d’approvisionnement, peuvent être applicables à d’autres situations de santé publique
- Les répercussions multisectorielles des traitements par la technologie CRISPR peuvent nécessiter de nouvelles discussions sur l’éthique et les utilisations possibles dans les soins de santé
Accès aux nouveaux traitements grâce aux systèmes de santé publique
- Le coût pourrait influencer la vitesse d’apparition de nouveaux modèles de prestation de soins, d’options et de traitements
- Comme d’autres technologies numériques, les technologies bionumériques peuvent nécessiter une assistance logicielle permanente et régulière pour maintenir leur efficacité. Les gouvernements peuvent être amenés à intervenir si les fournisseurs du secteur privé retirent leur soutienNotes de fin de page99
Accès équitable aux soins de santé dans les régions éloignées
- La télémédecine, la biodétection à distance et la bioproduction locale pourraient offrir différentes possibilités de diagnostic et de traitement. Au Canada, ces services médicaux peuvent bénéficier à des régions éloignées ou rurales. La collecte à distance des données biologiques dans les régions où l’accès à un réseau Internet fiable est limité peut constituer un défi pour l’accessibilité universelle aux soins de santé
Recherche et développement, partage des données et protection des renseignements personnels
- Les accords internationaux et la collaboration sur l’avenir des données de santé pourraient donner lieu à des alliances et à des différends
- La science à code source ouvertNotes de fin de page100 peut remettre en question les cadres de propriété intellectuelle existants liés aux diagnostics, aux thérapies, aux traitements et à la fabrication
- La valeur des données biologiques pourrait augmenter avec l’utilisation croissante de l’IA dans la découverte de médicaments qui s’appuie sur ces données pour générer des produits
- On pourrait assister à une mise en oeuvre internationale des accords, comme les systèmes d’accès et de partage des avantagesNotes de fin de page101 dans le cadre de la Convention sur la diversité biologiqueNotes de fin de page102, par exemple, qui ont une incidence sur l’accès aux ressources génétiques tirées de la biodiversité qui peuvent être utilisées pour développer de nouveaux médicaments et thérapies
- La nature numérique des données biologiques et la possibilité de les transférer ou d’y accéder facilement au moyen de plateformes en ligne pourraient alimenter les discussions sur la communication, le stockage, l’accès et la confidentialité de ces données
6.0 Environnement
Le changement climatique, la pollution et la perte de biodiversité sont largement reconnus comme des enjeux mondiaux urgents. Les modes de production et de consommation non durables d’aujourd’hui mettent en danger le bien-être socioéconomique à long terme. Les technologies bionumériques pourraient augmenter notre capacité de nous rapprocher du monde naturel et de le surveiller. Elles pourraient aussi étendre notre compréhension les liens qui unissent tous les êtres vivants. La modification génétique du monde naturel comme moyen d’atténuer le changement climatique, d’assainir l’environnement et de préserver la biodiversité peut toutefois soulever des considérations d’ordre éthique. En outre, la dissémination d’organismes modifiés dans des environnements naturels peut avoir des conséquences involontaires.
Peu de pays sont en passe d’atteindre leurs objectifs de réduction des émissions de carbone. Le coût des phénomènes météorologiques extrêmesNotes de fin de page103 causés par le changement climatiqueNotes de fin de page104, comme les incendies, les sécheresses, les inondations et les ouragans, pourrait continuer à augmenter. D’autres crises environnementales pourraient également s’intensifier, de la pollution plastique à la perte de biodiversité, en passant par la pollution de l’air, des sols et de l’eau. Malgré une tendance à la divulgation volontaire d’informations par les entreprisesNotes de fin de page105 et à l’investissement du secteur privé dans la lutte contre le changement climatique, les politiques publiques restent la clé de la protection de l’environnement.
6.1 Comment la convergence bionumérique change-t-elle l’environnement
Les innovations bionumériques continueront de se développer et à fusionner. Les paragraphes suivants présentent quelques innovations qui pourraient avoir une incidence sur l’avenir des écosystèmes, de la biodiversité et du changement climatique.
Biodiversité hybride. Les gens peuvent modifier les écosystèmes naturels et la biodiversité pour accroître la résilience. L’édition géniqueNotes de fin de page106 permet de créer de nouvelles formes de biodiversité, des plantes phosphorescentesNotes de fin de page107 aux capteurs nanobioniques qui surveillent les niveaux d’arsenicNotes de fin de page108 dans le sol. Les chercheurs utilisent la technologie de modification du génome CRISPR pour des projets comme l’amélioration de la résilience des écosystèmes forestiersNotes de fin de page109 et la réintroduction du mammouth laineuxNotes de fin de page110 après son extinction.
Les forçages génétiquesNotes de fin de page111 permettent aux gens d’introduire certains traits génétiques à l’échelle d’une population d’animaux ou d’insectes. Cette technique pourrait aider à lutter contre les espèces envahissantesNotes de fin de page112, à restaurer les récifs coralliensNotes de fin de page113 ou à prévenir les maladies transmises par les insectes. Par exemple, la Floride a lâché 750 millions de moustiques génétiquement modifiésNotes de fin de page114 comme solution de remplacement à l’utilisation d’insecticide. Ces interventions ne sont pas sans risque, car il peut être difficile d’arrêter leur propagation une fois que les gènes modifiés sont libérés dans la nature.
Décontamination de l’environnement grâce à la biologie synthétique. Les scientifiques mettent au point des médusesNotes de fin de page115 capables de désintoxiquer les océans contaminés, des matériaux intelligents à base de bactéries et de levuresNotes de fin de page116 capables de détecter les contaminants environnementaux, ainsi que des microbes capables de détruireNotes de fin de page117 les polluants présents dans le sol et l’eau, de récupérer les métaux des terres raresNotes de fin de page118 sur les terres polluées et de nettoyer les déversements d’hydrocarburesNotes de fin de page119.
Le dioxyde de carbone peut être extrait de l’atmosphère par des mauvaises herbes génétiquement modifiéesNotes de fin de page120 et des alguesNotes de fin de page121 à croissance rapide, cultivées en biomasse dans des bioréacteurs spécialement conçus, puis récoltées sous forme de carburant, d’engrais, d’huiles et de plastiques.
Internet des êtres vivants. Bien qu’il n’en soit qu’à ses débuts, il est possible de discerner les prémices d’un « Internet des êtres vivants » semblable à l’actuel Internet des Objets (« IdO »). La sensibilité des plantes aux produits chimiques, associée à la technologie, ouvre de nouvelles possibilités. Par exemple, les épinards peuvent envoyer un courriel pour signaler la présence de mines terrestresNotes de fin de page122. Si ses racines détectent un produit chimique explosif spécifique, la plante émet un signal qui est capté par un capteur, déclenchant l’envoi d’un courriel aux chercheurs.
La technologie de modification du génome CRISPR a été utilisé pour modifier des gènes afin qu’ils puissent stocker des informations binaires, le type d’informations utilisé dans les ordinateurs, sous forme d’ADN, ce qui a permis aux chercheurs de coder la phrase « bonjour tout le monde » dans une cellule d’E. coliNotes de fin de page123. Microsoft explore le potentiel futur de stockage de donnéesNotes de fin de page124 idans des systèmes biochimiques; théoriquement, un gramme d’ADN pourrait contenir 215 000 téraoctetsNotes de fin de page125 de données, que les gens pourraient lire à l’aide de séquenceurs d’ADN portatifsNotes de fin de page126.
6.2 Qu’est-ce qui pourrait changer dans l’environnement à l’avenir
À mesure que la convergence bionumérique progresse, elle pourrait remodeler l’environnement, la biodiversité et les écosystèmes en profondeur.
Modification de l’environnement. Les interventions bionumériques pourraient accroître la valeur des services écosystémiques. La valeur des services écosystémiquesNotes de fin de page127, à savoir les avantages que nous retirons d’un environnement naturel fonctionnel, de l’eau propre à la protection contre les inondations, est estimée à 1,5 fois le PIB mondial.
La biodiversité artificielle pourrait apporter une valeur ajoutée encore accrue, qu’il s’agisse de micro-organismes qui décomposent les polluants plastiquesNotes de fin de page128 et le pétroleNotes de fin de page129, d’arbres phosphorescentsNotes de fin de page130 qui remplacent les lampadaires, de sols qui absorbent davantage d’eauNotes de fin de page131 pour atténuer les inondations, ou d’arbres plus résistants aux feux de forêt. La biodiversité améliorée par la technologie pourrait transformer des écosystèmes actuellement inhabitables pour l’homme et offrir des solutions alternatives à la géoingénierieNotes de fin de page132 pour lutter contre le changement climatique.
Biocapteurs environnementaux et collecte de données. De meilleures données pourraient transformer la surveillance et la gouvernance environnementales. Les lois sur la protection de l’environnement ont historiquement légalisé les dommages environnementaux causés par l’activité humaine en fixant des plafonds d’émissions polluantes. Les plantes génétiquement modifiées pourraient surveiller l’application des lois antipollution, détecter les polluants et déclencher des alertes auprès des autorités compétentes. Les capteurs bionumériques, les drones, la robotique et le séquençage de fragments d’ADN dans l’environnementNotes de fin de page133 pourraient aider à surveiller la qualité de l’air, de l’eau et du sol à plus grande échelle et plus en détail, y compris aux sites d’extraction éloignés. En rejetant des entités vivantes bionumériques intelligentes dans les écosystèmes, on pourrait envoyer en temps réel aux autorités des signaux qui identifient les substances nocives, les microbes ou les polluants. Cette technologie pourrait potentiellement remplacer ou appuyer les normes d’émissions de polluants et conduire à une législation environnementale personnalisée et en temps réel.
En outre, des domaines d’étude émergents comme l’imageomiqueNotes de fin de page134, qui utilise l’apprentissage automatique pour extraire les caractéristiques biologiques des images d’organismes vivants capturées par des drones ou téléchargées sur des plateformes comme eBirdNotes de fin de page135 et iNaturalistNotes de fin de page136, pourraient rapidement améliorer notre compréhension des processus biologiques et détecter les signes précoces d’atteinte à la biodiversité.
L’ADN environnementalNotes de fin de page137 (ADNe) permet d’identifier les espèces présentes dans une région sans les observer directement, ce qui pourrait permettre de mieux comprendre les impacts sur l’environnement des projets et politiquesNotes de fin de page138 proposés, ainsi que la surveillanceNotes de fin de page139 environnementale des activités humaines en cours. Cette démarche pourrait également déboucher sur de nouvelles façons de déterminer la valeur économique des êtres vivants, illustrant ainsi la valeur des services écosystémiques. En outre, elle pourrait aider à suivre la façon dont les espècesNotes de fin de page140 se déplacent en réponse au changement climatique et faciliter la détection précoce des espèces envahissantes. La collecte d’ADNe sur les marchés de fruits de mer peut améliorer les techniques d’enquête sur les crimes contre les espèces sauvagesNotes de fin de page141 en permettant de détecter la vente d’espèces de poissons menacées et protégées. L’émergence de l’ADNe pourrait appeler à des réflexions sur la question de savoir qui contrôle ces données et quelles utilisations sont éthiques.
6.3 Un vert plus foncé
Redéfinition des concepts de naturel et d’artificiel. L’idée que la nature existe et évolue plus comme un art que comme une science est une hypothèse dominante. Cependant, notre compréhension des mécanismes qui régissent la vie a atteint un point où nous pouvons modifier les instructions biologiques, afin de programmer les organismes pour qu’ils accomplissent des tâches spécifiques. On constate des signes de changement cognitifNotes de fin de page142 selon lequel la société accorde de plus en plus de valeur aux entités biologiques. Une philosophie émergente, basée sur les nouveaux développements des robots vivantsNotes de fin de page143, veut que les organismes agissent comme le « matériel », et que l’ADN et la communication cellulaire (au moyen de gradients électriquesNotes de fin de page144) soient le « logiciel » qui dicte sa fonction.
La capacité de remodeler les écosystèmes en éliminant ou en faisant revivreNotes de fin de page145 certaines espèces, ou en orientant leur évolution, soulève des questions d’ordre éthiqueNotes de fin de page146 sur les droits des espèces et des écosystèmes, et le risque de conséquences involontaires si notre capacité de remodeler les écosystèmes dépasse notre capacité de les comprendre. Comme les gens essaient toujours de cartographier et de comprendre les subtilités des écosystèmes, notre compréhension peut être limitée et en constante évolution, même avec l’aide de la technologie. Il peut y avoir un risque de nuire à la nature en influençant ou en manipulant les subtilités du monde naturel.
Les perspectives autochtones pourraient permettre de mieux comprendre et de mieux connaître les ramifications potentielles des nouvelles biotechnologies. La réflexion sur les répercussions pour les 7 générations à venir et leur prise en compte, comme le suggèrent de nombreux enseignements traditionnels autochtones, pourraient guider les considérations d’ordre éthique liées aux innovations bionumériques.
6.4 Incertitudes critiques et possibilités futures
Divers facteurs pourraient influencer l’ampleur et la nature de l’acceptation ou du rejet des innovations bionumériques. Voici quelques exemples d’incertitudes possibles qui pourraient mener à différents scénarios d’avenir.
Acceptation sociétale : Est-ce qu’il y aura un consensus social sur l’adoption de nouvelles technologies?
- Alors que la prochaine génération d’enfants grandit en se familiarisant avec les technologies numériques et biologiques, la conscience publique évoluera-t-elle vers une prise de conscience selon laquelle les êtres humains font partie intégrante de systèmes écologiques plus vastes? Pourrait-on reconnaître plus largement l’importance de sauvegarder les écosystèmes en raison de leur valeur socioéconomique
- La modification accrue de l’environnement pourrait-elle susciter des réactions négatives? Par qui, et quelle forme pourraient-elles prendre
- S’il devient possibleNotes de fin de page147 de stocker des données de manière rentable dans l’ADN des organismes vivants, certaines plantes pourraient-elles jouer un nouveau rôle commercial dans l’économie numérique
- Voudrions-nous établir de nouvelles formes de perception et de connexion avec la nature
- Si les séquenceurs portatifs deviennent accessibles et bon marché, les gens les utiliseront-ils pour évaluer l’état de la biodiversité ou découvrir de nouveaux agents pathogènes
Écosystème environnemental : Comment l’environnement peut-il être touché et comment peut-il réagir? Faut-il appliquer le principe de précaution?
- Quelle est l’importance des risques de conséquences imprévues? Par exemple, de nouveaux micro-organismes artificiels pourraient perturber la chaîne alimentaire, créer de nouvelles formes de pollution, provoquer de nouvelles allergies ou devenir eux-mêmes une forme de déchet
6.5 Considérations d’ordre politique
L’essor de la convergence bionumérique pourrait influencer de nombreux domaines politiques. Les points suivants ne sont pas des recommandations politiques, mais plutôt des sujets à envisager, des questions et des idées qui visent à inciter à la réflexion.
Développement économique
- Le séquençage environnemental pourrait révéler la causalité entre les activités économiques et leurs répercussions sur la biodiversité et les écosystèmes
- Le territoire pourrait devenir un outil clé permettant aux entreprises d’atténuer leur empreinte environnementale grâce à la biodiversité artificielle, en l’utilisant pour compenser les impacts sur l’environnement de l’activité économique
- Un système d’Internet des êtres vivants pourrait être déployé à grande échelle et être dominé, comme Internet, par un petit nombre d’entreprises influentes
Propriété intellectuelle
- Les droits de propriété intellectuelle actuels devront peut-être évoluer pour englober les entités de la nature, ce qui soulève la question de savoir s’il faut considérer les nouveaux organismes comme un bien privé ou public
- Avec l’arrivée de meilleures technologies de séquençage, les gouvernements devront peut-être clarifier à l’échelle internationale les règles relatives à l’accès, à la propriété et au partage des avantages de l’information génétique numériqueNotes de fin de page148, ainsi que son statut juridiqueNotes de fin de page149 aux termes de la Convention sur la diversité biologique
Réglementation environnementale et son application
- De nouveaux cadres réglementaires à différents niveaux peuvent influencer l’introduction de nouveaux organismes génétiquement modifiés. Les règles relatives à la reproduction de nouvelles espèces modifiées pourraient varier
- La migration des espèces génétiquement modifiées pourrait être difficile à contrôler au-delà des frontières territoriales
- Les nouveaux capteurs numériques et biocapteurs pourraient servir d’outils pour surveiller la qualité de l’environnement et la perte de biodiversité. La création de canaux de communication à l’aide des technologies numériques entre les organismes vivants et les organismes de réglementation pourrait faciliter l’application des règles
7.0 Sécurité
Les innovations et les capacités bionumériques naissantes créent à la fois de nouvelles frontières et des préoccupations potentielles dans le domaine de la sécurité et de la défense. Comme près de 5 milliards de personnes sont connectées à Internet, la surveillance numérique et la collecte de données ont considérablement augmenté au cours de la dernière décennie. L’essor des données biologiques peut ajouter un nouveau degré de complexité à la sécurisation de données personnelles potentiellement précieuses. L’augmentation du nombre de données accessibles peut également faciliter les enquêtes criminelles et créer une société plus sûre.
Aujourd’hui, l’IdO est deployé dans le monde entier pour la construction des villes intelligentes et permet notamment aux autorités et aux acteurs privés de surveiller les mouvements des citoyens. Ces technologies ont donné lieu à des problèmes de protection des renseignements personnels et à de nombreuses controversesNotes de fin de page150. Si l’on ajoute à cela la baisse rapide du coût du séquençage de l’ADN, une grande quantité de données biologiques pourrait être générée au cours de la prochaine décennie, ce qui faciliterait la biosurveillance à l’avenir. En outre, l’essor des capacités en biologie à faire soi-même et l’accès aux biotechnologies émergentes pourraient faciliter de nouvelles formes de guerre biologique et de bioterrorisme.
7.1 Comment la convergence bionumérique change-t-elle la sécurité
Les innovations bionumériques continueront de se développer et à fusionner. Les paragraphes suivants présentent quelques innovations qui pourraient avoir une incidence sur l’avenir de la sécurité.
Essor des bases de données biologiques. L’adoption de bases de données biologiques et de données génétiques par des entités privées ou publiques peut présenter des risques pour la protection des renseignements personnels et la défense nationale. En raison de leur nature et du type d’informations qu’elles contiennent, les données biologiques pourraient mener à de nouveaux niveaux de menace. Le consentement, l’accès et l’utilisation malveillante pourraient poser des risques graves pour les particuliers et pour les opérations de sécurité et de défense à gérer. Le coût du séquençage des gènes diminue rapidement : en 2020, une entreprise chinoise a affirmé qu’elle pouvait séquencer un génome complet pour 100 $Notes de fin de page151. Certains gouvernements ont créé des bases de données d’ADN : les États-Unis ont accumulé environ 14 millions d’échantillonsNotes de fin de page152 sur des suspects criminels, parmi lesquels les minorités visibles sont surreprésentées; et la Chine recueille régulièrementNotes de fin de page153 l’ADN de citoyens de sexe masculin dans le cadre d’opérations de police prédictive. Les chercheurs travaillent sur l’utilisation de l’ADN pour prédireNotes de fin de page154 l’apparence du visage d’une personne, afin que les bases de données d’ADN puissent informer les autorités au moyen de logiciels de reconnaissance faciale.
De nombreuses personnes donnent volontairement leur ADN en échange d’informations sur leur santé ou leur ascendance, ou pour soutenir la recherche médicale, comme dans le cadre de l’étude de FinnGenNotes de fin de page155. Si certaines sociétés proposant des tests génétiques humains disposent de politiques de confidentialité exhaustivesNotes de fin de page156, beaucoup d’autres n’en ont pasNotes de fin de page157. Certains juges ont ordonnéNotes de fin de page158 à des entreprises de communiquer l’ADN de leurs clients aux forces de l’ordre, et près de la moitié des Américains sont favorables à l’accès par la police aux bases de données d’ADN privées. Les bases de données biologiques peuvent être un outil utile pour la criminalistique. Des affaires non résolues datant de plus de 10 ans peuvent être rouvertesNotes de fin de page159, car les données génétiques sont plus abondantes et plus faciles d’accès. En théorie, des acteurs malveillants pourraient être en mesure de piraterNotes de fin de page160 les bases de donnéesNotes de fin de page161 à code source ouvert dans lesquelles les gens téléchargent leur ADN à la recherche de membres de la famille ou pour des études médicales, et d’y identifier des individus.
Les entités internationales échangent des technologies de surveillance à l’étranger sans réglementation similaire à celle du commerce des armes, même si beaucoup considèrent que les effets de la technologie présentent des dangers similaires. Nombreux sont ceux qui demandent que les bases de données d’ADN et les technologies de reconnaissance faciale soient classées comme des armesNotes de fin de page162, afin de réglementer ce commerce mondial et de surveiller leur utilisation par les régimes autoritaires.
Course entre les menaces biologiques et la biodéfense. À l’instar d’Internet, la convergence bionumérique donne lieu à une lutte nouvelle et permanente entre l’attaque et la défense. Les États-Unis ont classé l’édition génomique comme une arme de destruction massiveNotes de fin de page163 potentielle et le FBI dispose d’un département de criminalité biologique. Les nouvelles technologies peuvent indiquer quand une personne tombe maladeNotes de fin de page164, et permettre une détection précoceNotes de fin de page165 du virus ou de la bactérie qu’elle peut avoir. L’armée américaine envisage d’équiper ses soldats de biocapteurs portablesNotes de fin de page166 pour détecter les menaces biologiques. S’il peut être difficile de faire la distinction entre les agents pathogènes naturels et les agents artificiels, la technologie s’amélioreNotes de fin de page167.
Il est de plus en plus facile pour les particuliers de séquencer et de synthétiser de l’ADN. Les trousses d’édition génomique sont vendues au détail en ligneNotes de fin de page168 pour un prix aussi bas que 169 $ US. Le mouvement de biologie à faire soi-même vise notamment à rendre l’insuline et d’autres médicaments plus abordablesNotes de fin de page169. Cependant, la biologie à faire soi-même augmente également le risque de rejeter délibérément ou accidentellement des agents pathogènes fabriqués soi-mêmeNotes de fin de page170. La Californie est devenue le premier État américain à adopter une loiNotes de fin de page171 visant expressément à restreindre l’utilisation de la technologie de modification du génome CRISPR, mais les réglementations diffèrent d’un endroit à l’autre.
7.2 Qu’est-ce qui pourrait changer dans la sécurité à l’avenir
À mesure que la convergence bionumérique progresse, elle pourrait remodeler les systèmes de sécurité et de défense en profondeur.
Menaces biologiques modernes. La militarisation de la biotechnologie pourrait entraîner une augmentation des menaces pour la société. Si seules les organisations disposant de ressources et de compétences importantes peuvent espérer développer une arme nucléaire, il est de plus en plus possible pour des particuliers ou de petits groupes de mettre au point des armes biologiques potentiellement dévastatrices, comme une version du virus Ebola modifiée pour se propager plus facilement. Il est plus difficile d’anticiper le potentiel d’échelle et de dommages collatéraux des nouvelles armes biologiques par rapport aux armes plus traditionnelles.
Des acteurs mal intentionnés ayant un plan à long terme pourraient investir dans des entreprises en démarrage dans le domaine de la biotechnologie ou les infiltrer, tandis que les cyberattaques ciblant les instituts de recherche biologiqueNotes de fin de page172 pourraient permettre l’accès à des connaissances qui peuvent être militarisées en utilisant des technologies et des matériaux facilement disponibles. Les chercheurs en vaccins, par exemple, créent régulièrement des virus synthétiques pour tester des stratégies. La reproduction récente du virus de la variole équineNotes de fin de page173, qui avait disparu, a fait craindre que le virus puisse être synthétisée et militarisée. De même, la recherche sur les neurotoxines comme la tétrodotoxineNotes de fin de page174, produite par le poisson-globe, pourrait contribuer au développement d’armes biologiques.
Les groupes terroristes et les États voyous pourraient également cibler l’approvisionnement alimentaire d’un pays à l’aide d’armes biologiques : l’agroterrorismeNotes de fin de page175 peut faire appel à des agents pathogènes qui touchent les cultures ou les forêtsNotes de fin de page176.
Essor de la biosurveillance. Les menaces biologiques nécessitent de nouvelles façons de concevoir la surveillance et le contrôle des frontières. À la suite de l’augmentation considérable du commerce international, nous pourrions être amenés à mettre en oeuvre des systèmes de biodétection intelligents pour surveiller et avertir en temps utile de la présence de nouveaux virus, bactéries ou autres agents pathogènes génétiquement modifiés. Une nouvelle technologie de biodétection pourrait être déployée aux frontières pour tenter de les protéger contre les menaces biologiques. Les techniques et les matières premières de biologie de synthèse sont à double usage, ce qui soulève des questions sur la réglementation du commerce international de ressources telles que les cultures de levure et les souches d’algues. Les biomatériaux bruts peuvent nécessiter de nouveaux types de surveillance et de suivi aux frontières, car leurs produits finaux peuvent varier.
Les menaces biologiques peuvent influencer les priorités de la défense nationale étant donné le renforcement de la biosécurité. Cependant, les menaces biologiques touchent de nombreux domaines de politiques, notamment l’environnement, la santé, la sécurité nationale et le contrôle des frontières.
7.3 Crises d’identité
Éthique du séquençage de l’ADN. Les données génomiques pourraient avoir de lourdes conséquences sur la compétitivité économique et sur les questions d’identité, d’équité et de discrimination. Il devient financièrement possible pour les entreprises de créer des bases de données d’ADN de leurs clients et de mettre en place des modèles commerciaux dans lesquels les consommateurs échangent leurs données génétiques contre des services gratuits. Les entreprises suivent actuellement les données numériques pour créer des profils de consommateurs, ou même des profils électorauxNotes de fin de page177. Le suivi des profils de données biologiques pourrait en être une extension. Grâce aux progrès de l’analyse génomique, les entreprises pourraient accéder à un bioprofil de votre identitéNotes de fin de page178 et en acquérir une compréhension plus large. En outre, les données génomiques pourraient devenir une nouvelle forme d’authentification numérique.
La sécurité et la surveillance pourraient s’intégrer aux pratiques d’équité et aux domaines éthiques. La communication de l’identité génétique pourrait créer de nouveaux défis en matière d’équité, si l’accès à l’éducation ou aux possibilités d’emploi dépendait du fait que les tests d’ADN laissent entendre ou non une aptitude à une carrière donnée. De même, l’accès aux soins de santé, aux assurances ou aux possibilités d’immigration pourrait dépendre des résultats des tests d’ADN et des risques de maladies dont le traitement est coûteux. Les mouvements ethnonationalistes pourraient promouvoir une discrimination fondée sur l’ADN ou créer des communautés enracinées dans une ascendance commune, ce qui entraînerait des divergences géopolitiques, des troubles sociaux ou de nouveaux types d’inégalités et de discriminations.
À mesure que l’ADN gagne en importance, un marché noir de fausses preuves ADNNotes de fin de page179 pourrait voir le jour. Les gens pourraient protéger leur identité en utilisant les technologies CRISPR pour modifier leur ADN. Un plus grand nombre d’institutions pourraient utiliser les données biologiques comme moyen d’autorisation, ce qui pourrait ouvrir une nouvelle voie à l’usurpation d’identité.
7.4 Incertitudes critiques et possibilités futures
Divers facteurs pourraient influencer l’ampleur et la nature de l’acceptation ou du rejet des innovations bionumériques. Voici quelques exemples d’incertitudes possibles qui pourraient mener à différents scénarios d’avenir.
Acceptation sociétale : Est-ce qu’il y aura un consensus social sur l’adoption de nouvelles technologies?
- Leur utilisation potentielle dans les armes biologiques pourrait-elle monter l’opinion publique contre les usages potentiellement bénéfiques de la biologie de synthèse et des technologies d’édition génique
- Les attitudes à l’égard de la justice et de la police prédictiveNotes de fin de page180 pourraient-elles changer s’il devenait possible d’utiliser le profilage génétiqueNotes de fin de page181 pour prédire le comportement criminel futur avec un haut degré de confiance à partir de l’ADN d’une personne
- Les préoccupations relatives aux risques biologiques peuvent-elles inciter davantage de gens à s’installer dans des régions isolées ou à chercher à rendre leurs propriétés plus sûres contre les menaces biologiquesNotes de fin de page182
- Comment des attitudes culturelles différentesNotes de fin de page183 peuvent-elles façonner les réponses aux menaces biologiques dans différents pays
Écosystème commercial : Quelle pourrait être la forme des entreprises dans cet espace, comment les secteurs connexes pourraient-ils évoluer, quels nouveaux acteurs pourraient voir le jour, et comment pourraient-ils évoluer dans le temps?
- La nature des menaces biologiques pourrait-elle nécessiter l’élaboration de normes internationalesNotes de fin de page184, ou les pays élaboreront-ils leurs propres paramètres et règlements en matière de saisie, de stockage et de communication des données biologiques
- Les grandes entreprises pourraient-elles monopoliser la biologie de synthèse, les petites entités n’ayant pas forcément les ressources nécessaires pour satisfaire aux exigences de biosécurité pour les activités à haut risque
- Comment les entreprises, les organisations et les gouvernements peuvent-ils parvenir à un équilibre approprié entre l’innovation et la réglementation, les interdictionsNotes de fin de page185 et les moratoires
- Comment les organisations de bioinnovation pourraient-elles faire face à un risque accru d’espionnage industrielNotes de fin de page186 et de cyberattaquesNotes de fin de page187
État de préparation du marché du travail : Y aura-t-il suffisamment de talentsNotes de fin de page188 pour développer de nouveaux marchés et de nouvelles activités? Où seront les talents du bionumérique?
- Pourrions-nous voir les ministères de la défense et les entreprises de sécurité employer un nombre croissant d’experts en « risques biologiques »
Déploiement économique : Comment les politiques peuvent-elles s’adapter et garder une longueur d’avance sur les transitions?
- Quels sont les nouveaux protocoles et règlements nécessaires pour sécuriser les échanges de données biologiques
- Quels règlements et normes en matière de sécurité, comme les permis délivrés par le gouvernement, pourraient être requis pour mener des activités de biologie à faire soi-même
7.5 Considérations d’ordre politique
L’essor de la convergence bionumérique pourrait influencer de nombreux domaines politiques. Les points suivants ne sont pas des recommandations politiques, mais plutôt des sujets à envisager, des questions et des idées qui visent à inciter à la réflexion.
Sûreté et menaces biologiques
- Des acteurs malveillants pourraient tirer les leçons des échecs de détection, d’atténuation et de réponse à la pandémie de COVID-19Notes de fin de page189, et des effets socioéconomiques sous-jacents, augmentant ainsi la probabilité de futures attaques menées avec des armes biologiques
- Les composants numériques des dispositifs portables ou implantés pourraient être piratés, ce qui entraînerait des dommages biologiques pour l’utilisateur
- La science à code source ouvert et la communication des données de recherche à l’échelle internationale pourraient conduire à une surveillance et à une authentification internationale
- La convergence bionumérique pourrait permettre aux particuliers de développer des menaces biologiques à faible coût
- Certains pays pourraient investir dans la création de nouvelles infrastructures ou reconfigurer leurs infrastructures existantes pour prévenir ou atténuer les menaces biologiques potentielles
Sécurité nationale
- La désinformation et les fausses nouvelles concernant les technologies bionumériques émergentes pourraient contribuer à modifier les attitudes et les comportements sociaux, et devenir par la suite un problème de sécurité nationale
- Au vu de l’essor des laboratoires de biologie à faire soi-même à bas prix et l’accès plus facile à des technologies comme la synthèse de l’ADN, les services d’urgence de première ligne tels que la police, les pompiers et les ambulanciers pourraient avoir besoin d’une formation pour détecter les laboratoires, les organismes présentant un danger biologique et, potentiellement, l’augmentation humaine
- L’augmentation de l’être humain pourrait être à la hausse, ce qui pourrait amener certains pays à développer des capacités de détection de l’augmentation ainsi que des règlements
Forces armées et défense
- Des solutions défensives et offensives nationales et mondiales aux menaces biologiques potentielles pourraient être déployées
8.0 Fabrication
La fabrication reposait historiquement sur le travail d’ouvriers d’usine qui transformaient des ressources naturelles initialement extraites des mines, des forêts et des eaux ou cultivées dans des exploitations agricoles. Les différences de coût de la main-d’œuvre et la répartition naturelle des ressources ont influencé le développement de notre vaste réseau de chaînes d’approvisionnement mondiales. La convergence bionumérique pourrait transformer le secteur des ressources naturelles grâce à de nouvelles méthodes de fabrication et d’obtention des matières premières et des carburants, ainsi qu’à de nouvelles techniques de fabrication, ce qui pourrait atténuer la pression sur les ressources naturelles. Une production et une distribution plus localisées des biens et des carburants pourraient relocaliser le secteur de la fabrication et transformer le commerce, perturbant ainsi les réseaux commerciaux et les chaînes d’approvisionnement.
Tout au long de l’ère industrielle, les accords commerciaux internationaux et la délocalisation des activités de fabrication ont donné naissance à des chaînes d’approvisionnement complexesNotes de fin de page190. La demande de produits physiques devrait augmenter dans les années à venir, car la population mondiale s’accroît et le niveau de vie continue de s’élever. Le commerce international devrait également augmenter. Les technologies numériquesNotes de fin de page191 comme l’IA, la robotique, l’infonuagique, l’impression 3D et la réalité mixte transforment déjà le secteur de la fabrication. Bien que le coût de la main-d’œuvre influence les décisions relatives au lieu de production, la prochaine économie numériqueNotes de fin de page192 devrait révolutionner les chaînes de valeur mondiales. Elle pourrait également accélérer la transition vers une biofabrication basée sur le génie génétique.
8.1 Comment la convergence bionumérique change-t-elle la fabrication
Les innovations techniques bionumériques continueront à mûrir et à se combiner. Les paragraphes suivants présentent quelques innovations qui pourraient avoir une incidence sur l’avenir intégré et complexe de la fabrication.
Atteinte de l’échelle industrielle par les bio-usines intelligentes. La biologie de synthèse a toujours été une activité à forte intensité de main-d’oeuvre, comportant de nombreuses tâches manuelles et répétitives, mais cela commence à changer. Des organisations privées et des instituts de recherche construisent des installations de bioproduction intelligentes qui peuvent atteindre l’échelle industrielle.
Les assistants de laboratoire robotisés peuvent réaliser des expériences 1 000 fois plus rapidementNotes de fin de page193 que les êtres humains, ce qui permet aux chercheurs de se concentrer sur la conception et la création d’organismes génétiquement modifiés. Les données générées par les essais de nouveaux organismes entraînent et optimisent l’apprentissage automatiqueNotes de fin de page194 pour prédire le comportement des systèmes biologiques et fournir des recommandations, ce qui pourrait considérablement accélérer le développement de la bio-ingénierieNotes de fin de page195. Les coûts diminuent à mesure que les marchés d’ADN en ligneNotes de fin de page196 facilitent les comparaisons de prix entre les producteurs d’ADN de synthèse.
Matériaux biologiques de synthèse. Les matériaux biologiques de synthèse perturbent les méthodes de fabrication actuelles. Parmi les biomatériaux innovants, citons un tissu ressemblant à de la soieNotes de fin de page197 produit par des microbes génétiquement modifiés; du cuir biologiqueNotes de fin de page198 et du bois imprimés en 3D; des briques biodégradables fabriquées à partir de champignonsNotes de fin de page199; des bactéries mélangées à du bétonNotes de fin de page200 pour s’autorégénérer et éviter les fissures; des bactéries capables de produire de l’hydrogèneNotes de fin de page201 comme combustible à la demande; des « robots souples »Notes de fin de page202 capables de déplacer des marchandises sous l’eau; et un gel imprimé en 3DNotes de fin de page203 qui change de couleur en réponse à la lumière et peut être utilisé comme camouflage. Des machines vivantes conçues par l’IA et fabriquées à partir de cellules de peau et de muscles de grenouillesNotes de fin de page204 pour s’adapter à un nouveau plan corporel peuvent se déplacer de manière autonome et effectuer des tâches « programmées ».
De nouveaux concepts et innovations facilitent l’intégration physique de la biologie et du numérique, et favorisent le changement cognitif auquel nous assistons. La technologie et la nature s’intègrent peut-être plus facilement que nous ne le pensions. En outre, la technologie pourrait être plus intuitive et la nature plus prescriptive qu’on ne l’avait imaginé.
Ces matériaux pourraient offrir des substituts à presque toutes les matières premières utilisées pour produire des biens, du plastique au bois, en passant par les métaux, les produits chimiques et même les fibres végétales comme le coton.
Bioénergie produite à partir d’organismes génétiquement modifiés. Malgré les investissements considérables réalisés au cours de la dernière décennie, le biocarburant d’algues reste coûteux, mais les chercheurs font appel à l’IANotes de fin de page205 pour modifier génétiquement des algues capables de produire de l’énergie à moindre coût, en remplacement potentiel des combustibles fossiles. Des bactéries génétiquement modifiées peuvent produire de l’hydrogène dans des cellules biosolaires en utilisant uniquement la lumière du soleil et l’eau.
8.2 Qu’est-ce qui pourrait changer dans la fabrication à l’avenir
À mesure que la convergence bionumérique progresse vers la maturité, elle pourrait remodeler la fabrication, les chaînes d’approvisionnement, les modes de production et le comportement des consommateurs en profondeur.
Ressources naturelles d’origine biologique. Les micro-organismes génétiquement modifiés pourraient réduire la demande de ressources naturelles. Nous n’aurons peut-être plus besoin des matières premières traditionnelles pour fabriquer des biens. Le secteur de l’industrie primaire, notamment l’exploitation minière, l’agriculture et la foresterie, pourrait être confronté à la concurrenceNotes de fin de page206 d’une gamme de biomatériaux fonctionnels et rentables. Soutenues par des laboratoires en nuage, la fabrication additive, des logiciels de conception assistée par ordinateur et l’automatisation, les biofonderies pourraient fournir des services locaux de génie génétiqueNotes de fin de page207 (bioproduction en tant que service) et des biomatériaux bruts respectueux des règlements locaux aux fabricants souhaitant réduire les coûts de leur chaîne d’approvisionnement et de leur infrastructure de production.
Comme leur empreinte carbone est probablement plus faibleNotes de fin de page208, les biosubstituts pourraient soutenir les efforts visant à atténuer le changement climatique. Une baisse spectaculaire des recettes des États producteurs de pétrole pourrait également avoir des répercussions géoéconomiques et géopolitiques.
Fabrication distribuée grâce aux biofonderies. Des installations de biofabrication réparties à travers le monde pourraient répondre aux besoins locaux en produits de base. Combinées à la bio-impression 3D, les biofonderies pourraient accélérer la transition des fabricants d’un modèle interentreprises traditionnel vers un modèle entreprise–consommateur en fournissant aux populations locales des produits de niche comme des biomatériaux, des aliments et des médicaments personnalisés pour les maladies raresNotes de fin de page209. Dans les régions éloignées, les biofonderies pourraient produire une série de biens dont l’importation est actuellement coûteuse, ce qui réduirait le coût de la vie et pourrait aider les communautés éloignées à devenir plus autosuffisantes.
Si les produits sont de plus en plus fabriqués et transformés localement, le besoin d’infrastructures physiques étendues comme les réseaux électriques, les oléoducs et gazoducs, les ports et les chemins de fer peut diminuer, et le besoin d’installations de fermentation peut augmenter. Cela pourrait alléger la pression sur les terres et permettre aux biens et services d’être plus accessibles pour les communautés isolées. Ce phénomène pourrait également conduire à l’émergence de nouvelles infrastructures locales pour le transport de la biomasse, comme une canalisation de bièreNotes de fin de page210.
Diminution du coût de la bio-ingénierie. Un équipement de recherche plus abordable pourrait conduire à une augmentation de l’innovation dans les biosubstituts. La baisse du coût du séquençage des gènes, de la synthèse de l’ADN et de l’automatisation pourrait permettre une augmentation de la recherche sur la bioproduction en source ouverte à faire soi-même. Les entrepreneurs individuels pourraient explorer un nombre sans précédent de nouvelles possibilités pour les biens et services, de la santé à la construction, en passant par les infrastructures, les matériaux et le mobilier.
Ces nouveaux biosubstituts pourraient obliger les organismes de réglementation à revoir une série de règlements liés à la santé et à la sécurité, à la protection de l’environnement, à la propriété intellectuelle, à l’atténuation du changement climatique et au bien-être social, tout en visant à promouvoir la croissance économique. La grande capacité de personnalisation de la bio-ingénierie pourrait amener les producteurs à adapter leurs produits pour tenir compte des disparités entre les règlements des différents pays.
8.3 Récupération, régénération, recyclage
Économie circulaire et développement durable. Pendant des décennies, la production et la consommationNotes de fin de page211 qui ont stimulé la croissance économique à l’échelle mondiale ont augmenté l’empreinte environnementale des matériaux et entraîné l’épuisement des ressources naturelles. De l’extraction des ressources à leur élimination, l’économie linéaire « extraire-produire-jeter » qui a dominé notre modèle de développement a menacé la capacité de la Terre à régénérer les ressources renouvelables. Pour atteindre les objectifs de développement durableNotes de fin de page212, un concept a vu le jour, qui préconise le passage à une économie circulaireNotes de fin de page213, en séparant l’activité économique de la consommation des ressources limitées et en concevant des produits fabriqués à partir de matières premières renouvelables tout en respectant leur cycle de régénération.
Un système de production bionumérique pourrait réduire la demande humaine en capital naturel en optimisant l’utilisation de la biomasse et en développant des solutions de rechange génétiquement modifiées aux ressources non renouvelables comme les combustibles fossiles et de nombreux minéraux.
Et si le bioemballage intégrant des semences pouvait se transformer facilement en plantes? Ou si les nouveaux matériaux en champignonNotes de fin de page214 pour le secteur de la construction se développaient rapidement tout en capturant le carbone? Et si les biomatériaux étaient dotés de capacités spécifiques de biodétection, comme la détection de la détérioration des aliments, de la pollution de l’air, de l’eau et du sol dans les zones urbaines? La consommation de bioproduits pourrait conduire à la régénération des écosystèmes et de la biodiversité tout au long de leur cycle de vie, de la production à la fin de leur vie utile.
8.4 Incertitudes critiques et possibilités futures
Divers facteurs pourraient influencer l’ampleur et la nature de l’acceptation ou du rejet des innovations bionumériques. Voici quelques exemples d’incertitudes possibles qui pourraient mener à différents scénarios d’avenir.
Acceptation sociétale : Est-ce qu’il y aura un consensus social sur l’adoption de nouvelles technologies?
- Les préférences des consommateurs et le mouvement économique en faveur de biens à faible teneur en carbone accéléreront-ils le passage aux biomatériaux? Dans quelle mesure le public pourrait-il accepter facilement les nouveaux produits génétiquement modifiés? Des clivages pourraient-ils voir le jour selon les différences générationnelles, culturelles, géographiques ou religieuses
Écosystème commercial : Comment les acteurs existants pourraient-ils changer, quelle pourrait être l’évolution des secteurs connexes et quels nouveaux acteurs pourraient voir le jour?
- La bioproduction sera-t-elle développée par des multinationales ou par des entreprises en démarrage
- Comment la biofabrication pourrait-elle redéfinir les chaînes d’approvisionnement dans différentes industries
État de préparation du marché du travail : Y aura-t-il suffisamment de talents pour développer de nouveaux marchés et de nouvelles activités? Où seront les talents du bionumérique?
- Y aura-t-il des investissements ciblant une collaboration multidisciplinaire entre les ingénieurs, les scientifiques du numérique (comme l’IA, la robotique, la connectivité) et les biologistes
Déploiement économique : À quelle vitesse les politiques pourraient-elles évoluer et s’adapter pour permettre les transitions?
- Quel est le risque de pollution des écosystèmes par les nouveaux biomatériaux? Quel type de déchets les biofonderies produisant de nouveaux matériaux peuvent-elles générer? Seront-ils plus faciles à manipuler que les déchets chimiques, industriels (emballage, bois, acier) ou nucléaires
- Comment les règles du commerce interprovincial et international pourraient-elles empêcher ou permettre la circulation transfrontalière des biomatériaux
8.5 Considérations d’ordre politique
L’essor de la convergence bionumérique pourrait influencer de nombreux domaines politiques. Les points suivants ne sont pas des recommandations politiques, mais plutôt des sujets à envisager, des questions et des idées qui visent à inciter à la réflexion.
Systèmes d’innovation
- Les biofonderies pourraient encourager l’esprit d’entreprise et l’innovation à l’échelle locale
- Les règles de propriété intellectuelle relatives aux nouveaux biomatériaux et aux micro-organismes modifiés pourraient soit encourager, soit ralentir la recherche et le développement, et l’innovation
- Les grandes entreprises et les acteurs du commerce électronique peuvent stimuler la bioconsommation à l’échelle mondiale en adoptant des biosubstituts et des matériaux à faible teneur en carbone comme les bioplastiques ou les emballages comestibles
Développement économique
- Les gouvernements fédéraux, provinciaux et municipaux pourraient avoir des positions différentes sur la biofabrication, étant donné ses retombées sur divers secteurs de l’économie comme l’agriculture, la transformation des aliments, la construction, le pétrole et le gaz, la pétrochimie, la foresterie, la pêche, les produits pharmaceutiques, l’exploitation minière et le transport
- La valeur des matériaux traditionnels et des ressources naturelles pourrait rapidement diminuer lorsqu’un bioproduit de remplacement est commercialisé
Collaboration internationale
- Les biofonderies pourraient permettre de nouveaux partenariats et une nouvelle collaboration internationale en recherche et développement, et rompre les alliances commerciales traditionnelles entre pays et régions
- Des normes internationales sur la recherche et la production de biomatériaux pourraient voir le jour
Réglementation et commerce
- Les biomatériaux émergents et les micro-organismes génétiquement modifiés pourraient entraîner un nouvel étiquetage des produits de consommation et des matériaux de construction
- Les règlements environnementaux relatifs à la gestion des déchets, aux substances toxiques et au transport devront peut-être être revus pour évaluer les nouveaux biomatériaux issus de la biologie de synthèse, de l’ingénierie tissulaire ou de la bio-impression 3D. Ils pourraient également influencer les activités d’importation et d’exportation
- Les gouvernements peuvent se pencher sur les questions d’ordre éthique entourant l’utilisation et la gestion des organismes génétiquement modifiés
9.0 COVID-19 : un accélérateur inattendu
La pandémie de COVID-19 agit comme un moteur du changement qui accélère la transition vers un monde bionumérique. Elle a sensibilisé la population, les gouvernements et l’industrie à la biologie et à ses multiples usages. Elle révèle les risques de la désinformation et la nécessité des connaissances en biologie. Elle place les capacités de biodéfense et l’autosuffisance nationale au premier plan des préoccupations des gouvernements. En outre, elle a obligé les sociétés à réévaluer l’équilibre entre la biosécurité et les libertés individuelles.
Le rythme de la convergence bionumérique dans les années à venir dépendra non seulement des progrès technologiques, mais aussi de l’acceptation sociale, et la pandémie a montré que des événements inattendus peuvent déclencher des changements rapides dans la sphère de ce qui est largement considéré comme acceptable ou souhaitable. À l’avenir, nous ne verrons peut-être plus les technologies numériques et les systèmes biologiques comme des éléments distincts, mais plutôt comme des éléments qui s’entrelacent, normalisant davantage le monde bionumérique dont les générations futures pourraient hériter.
Tout au long de la pandémie COVID-19, nous avons vécu la première expérience bionumérique à l’échelle mondiale. Nous sommes confrontés à l’évolution profonde des innovations bionumériques tout en assistant à la naissance d’un nouveau domaine. Les technologies bionumériques abordées dans le présent rapport existent aujourd’hui et continueront d’évoluer. La mesure dans laquelle elles transformeront nos vies à l’avenir dépend en partie de la rapidité avec laquelle elles deviendront plus performantes et abordables, ainsi que normalisées et intégrées dans la société. En d’autres termes, la transformation est fonction de la possibilité technologique et de l’acceptation sociale.
Souvent, l’acceptation sociale est progressive, car les nouvelles générations grandissent en ayant des attitudes et des expériences différentes. Parfois, certains événements peuvent déclencher des changements rapides et inattendus dans ce qui est largement considéré comme normal. La modification des procédures de sécurité dans les aéroports après le 11 septembre est un exemple de changement de protocole de sécurité et de voyage à la suite d’un événement marquant. La pandémie de COVID-19 a entraîné de nombreux changements rapides en raison des circonstances auxquelles nous sommes confrontés, de la transformation numériqueNotes de fin de page215 des entreprises à la multiplication des réunions vidéoNotes de fin de page216, des achats en ligneNotes de fin de page217, des applications de livraison de denrées alimentairesNotes de fin de page218, de la télémédecineNotes de fin de page219, et de la surveillanceNotes de fin de page220. Des progrès ont été réalisés dans le déploiement des vaccins à ARNmNotes de fin de page221, le séquençage en temps réelNotes de fin de page222 et la coopération mondialeNotes de fin de page223, qui ont conduit à la production rapide de vaccins en raison des pressions exercées sur le secteur des biotechnologies.
La COVID-19 est peut-être le point de départ d’une nouvelle ère de menaces biologiques dans laquelle le changement rapide devient plus normal. Il est peu probable que cette pandémie ne se produise qu’une fois par siècleNotes de fin de page224, car de nombreux facteurs comme le changement climatique et la croissance démographique pourraient contribuer à l’apparition de virus zoonotiques plus nombreux, voire plus graves, à l’avenir. Le risque mondial de menaces biologiques pourrait augmenter et les experts pourraient intensifier leurs efforts pour comprendre les variables qui conduisent à l’apparition des pandémies.
Que peut signifier la COVID-19 pour la convergence bionumérique?
Essor des connaissances biologiques
La population, les gouvernements, les scientifiquesNotes de fin de page225 et l’industrie parlent de la biologie comme jamais auparavant. De la valeur de R aux mutations de la protéine Spike, des concepts qui étaient très spécialisés au début de 2020 font désormais partie des conversations courantes. Cet essor des connaissances biologiques pourrait faciliter la discussion, l’explication et la compréhension des technologies bionumériques émergentes comme celles qui sont étudiées dans le présent rapport. De même, l’augmentation des connaissances biologiques a contribué aux conversations sur l’environnement et aux initiatives sur le changement climatique, qui ont également augmenté en même temps que la pandémie.
Augmentation de l’attention et du financement accordés aux technologies bionumériques
La COVID-19 a accéléré l’intérêt pour la recherche sur diverses innovations biologiques et bionumériques et les investissements dans ce domaine, des vaccins à ARNm et des méthodes d’immunisation de substitution comme les vaporisateurs nasauxNotes de fin de page226, à la biosurveillance, aux capteurs, aux thérapies géniquesNotes de fin de page227 et à une meilleure compréhension du microbiomeNotes de fin de page228, des facteurs de stress toxiquesNotes de fin de page229 et du système immunitaire humain. La COVID-19 a accéléré l’utilisation d’innovations bionumériques comme la télémédecine et les applications de santé, et pourrait susciter à l’avenir des discussions sur la biosurveillance ou les biocapteurs environnementaux.
Santé et biodéfense, une question transversale pour les institutions publiques
Les gens ont pris conscience des effets puissants et profonds des micro-organismes. La santé publique est devenue un élément central de tous les aspects du gouvernement, de l’économie à l’environnement. La préparation aux pandémies est désormais considérée par certains comme une question de sécurité nationaleNotes de fin de page230, étant donné qu’il est généralement admis que ce n’est qu’une question de temps avant qu’une autre menace biologique importante n’apparaisse.
Nouvelle ère de risques de désinformation
La COVID-19 illustre la façon dont les théories du complotNotes de fin de page231 peuvent gagner en popularité alors que les scientifiques s’empressent de comprendre la nature d’une nouvelle menace. Parmi les exemples, citons les théories néfastes selon lesquelles la COVID-19 est causée par la 5GNotes de fin de page232 et les vaccins contiennent des micropuces contrôlées par Bill GatesNotes de fin de page233 ou encore les faux remèdes et conseils de santé comme s’injecter de l’eau de Javel.
Les gens doivent déchiffrer des quantités massives d’informations et donner un sens au monde par l’intermédiaire de nouveaux canaux d’information. « La désinformation virale et les théories du complot polluent notre environnement informationnel. Elles déterminent la façon dont un nombre croissant de Canadiens interprètent le monde, ce qui influence leurs décisions sociales, économiques et politiquesNotes de fin de page234. » La création de sens détermine ce que les gens pensent savoir et comment ils prennent leurs décisions. La désinformation comporte des risques de contrecoup qui pourraient ralentir ou accélérer l’adoption des innovations bionumériques. La façon dont nous donnons du sens aux innovations bionumériques émergentes influencera le déroulement de l’ère bionumérique.
À la recherche de l’autosuffisance nationale
Les premières semaines de la pandémie ont montré comment les contrats commerciaux peuvent se rompre dans une situation d’urgence mondiale, les gouvernements nationaux étant intervenusNotes de fin de page235 pour empêcher les exportations d’équipements de protection individuelle (EPI), de fournitures médicales et de céréalesNotes de fin de page236. La pandémie a également touché de nombreuses chaînes d’approvisionnement, notamment celle des semi-conducteurs et de la viandeNotes de fin de page237. Par conséquent, les gouvernements pourraient développer des capacités nationales, afin de fabriquer des fournitures de première nécessité dans des secteurs essentiels. En réponse à la pandémie de COVID-19, Singapour a mis de l’avantNotes de fin de page238 son objectif adopté en 2019Notes de fin de page239 de produire 30 % de ses propres denrées alimentaires d’ici à 2030 en utilisant l’agriculture cellulaire et l’agriculture verticale. En 2021, le Canada a proposé un investissement de 2,2 milliards de dollarsNotes de fin de page240 dans le secteur de la biofabrication et des sciences de la vie, afin de renforcer les capacités de production de vaccins et les innovations en soins de santé. Nous constatons un intérêt similaire pour l’innovation dans le domaine des soins de santé et de la bioproduction dans le monde entier, la FranceNotes de fin de page241 étant l’un des nombreux pays qui investissent massivement dans ce domaine en pleine expansion.
Participation du public à l’industrie pharmaceutique
Les pays qui ont investi dans le développement et l’infrastructure de fabrication du vaccin contre la COVID-19 ont bénéficié d’un accès plus rapideNotes de fin de page242 aux vaccins que ceux qui ont adopté une approche plus transactionnelle de l’approvisionnement, et les disparités dans l’accès rapide ont vite conduit à des menaces d’interdiction d’exportation. Certains pays pourraient étudier la possibilité d’une bioinfrastructure stratégique et d’une capacité de biofabrication afin de mieux se préparer aux futures urgences liées aux menaces biologiques et à la sécurité nationale.
Cela pourrait remettre en question le rôle dominant accepté de l’entreprise privée dans le développement et la fabrication de produits pharmaceutiques, comme en témoigne l’encouragement récent de la participation publiqueNotes de fin de page243 dans la biofabrication et la production pharmaceutique.
Les gouvernements peuvent particulièrement apprécier la capacité nationale à changer rapidement de cap et à fabriquer tout nouveau vaccin, traitement ou test de diagnostic face à une nouvelle menace.
La distribution internationale de vaccins et les contrats de sécurisation des approvisionnements ont mis en lumière l’inégalitéNotes de fin de page244 dans l’accès à la prévention et aux traitements. La nature des menaces biologiques mondiales peut nécessiter de nouvelles stratégies pour permettre une distribution plus équitable des traitements.
Équilibre changeant entre protection des renseignements personnels, droit à la santé, sureté biologique et biodéfense
Le dépistage et l’isolement sont apparus très tôt comme des stratégies clés pour les pays qui ont réussi à maîtriser la pandémie. Certains pays, comme la Corée du SudNotes de fin de page245, l’ont fait de manière particulièrement efficace et ont compromis la protection des renseignements personnelsNotes de fin de page246 dans une mesure actuellement inacceptable dans la culture occidentale, même si cela pourrait changer en cas de menace suffisamment grave. Bien que les préoccupations éthiques soient encore nombreuses, on a de plus en plus le sentiment que l’acceptationNotes de fin de page247 des outils de biosurveillance augmente, alors que nous faisons face à une pandémie mondiale. Il est intéressant de noter que certaines îles et régions éloignées, comme la Nouvelle-ZélandeNotes de fin de page248 et l’Île-du-Prince-ÉdouardNotes de fin de page249, ont mis en place des protocoles stricts pour contrôler l’entrée et répondre rapidement aux menaces, et ont été saluées et reconnues pour leur efficacité à atténuer la pandémie.
De nombreux gouvernements et scientifiques pourraient vouloir améliorerNotes de fin de page250 leur capacité de prédire et détecterNotes de fin de page251 le prochain virus pandémique malgré les incertitudesNotes de fin de page252. Les technologies de diagnostic nécessitant des données biologiques personnelles se développent rapidement. Les chercheurs travaillent sur des dispositifs de diagnostic portables qui font appel à l’édition génomique pour détecter n’importe quel agent pathogène, en traitant des centaines de tests en 15 et sur des capteurs injectés sous la peauNotes de fin de page253 pour détecter une infection qui peut être contagieuse, mais pas encore symptomatique. Les passeports vaccinauxNotes de fin de page254 COVID-19 pourraient annoncer un monde dans lequel de nombreuses activités ne sont accessibles que si l’on est prêt à divulguer son état de santé actuel. L’accès et la disponibilité des services de soins de santé ont été mis à rude épreuve par la pandémie, ce qui a conduit les pays à envisager des mesures difficiles comme l’obligation de vaccinerNotes de fin de page255 et la contribution aux soins de santéNotes de fin de page256, ou le refus des services de soins de santéNotes de fin de page257 aux personnes non vaccinées. On pourrait débattre de la question de savoir si les soins de santé sont un droit ou un privilège. Certains paysNotes de fin de page258 ont déployé des systèmesNotes de fin de page259 de surveillance des eaux usées afin de mieux comprendre comment la COVID-19 se propage dans une communauté.
Changements systémiques dans la science et la technologie pendant la pandémie de COVID-19
La COVID-19 a apporté des changements spectaculaires à certains aspects de la conduite des activités scientifiques. On ne sait pas encore si ces changements s’ancreront ou s’estomperont tant que la menace de la pandémie reste inconnue.
- Les processus d’essai clinique et d’approbation des nouveaux vaccins à ARNm ont été accélérésNotes de fin de page260 à un degré sans précédent
- Les entreprises spécialisées dans la biologie de synthèse et les biofonderies ont démontré leur capacité à faire évoluer rapidement leur capacité de production vers les matières premièresNotes de fin de page261 pour de nouveaux tests et vaccins
- Des scientifiques du monde entier ont partagé des donnéesNotes de fin de page262 sur le séquençage du génome de la COVID-19 et des nouveaux variants
- Les revues universitaires ont donné la prioritéNotes de fin de page263 à la rapidité de publication par rapport à la rigueur du processus d’examen par les pairs
- Des plateformes comme CrowdfightNotes de fin de page264 ont vu le jour, permettant aux scientifiques d’échanger des idées et de bénéficier de l’aide de bénévoles
- Les gens ont fourni volontairement leurs données pour permettre la conduite d’activités scientifiques en temps réel, comme grâce à l’application britannique de suivi des symptômes ZoeNotes de fin de page265
10.0 Conclusion
Nous sommes à l’aube de l’ère de la convergence bionumérique. À l’heure actuelle, nous utilisons la technologie en biologie, mais la biologie en elle-même est aussi une forme de technologie; elle est programmable, codable et modifiable. L’avenir de la biologie en tant que technologie pourrait inclure des composants numériques programmables. Les technologies numériques et les systèmes biologiques s’associent et fusionnent d’une manière qui pourrait bouleverser en profondeur nos hypothèses sur la société, sur l’économie et sur le corps humain.
Cinq secteurs sont appelés à se transformer avec l’avènement de la convergence bionumérique : l’alimentation, la santé, l’environnement, la sécurité et la fabrication.
Au-delà de la transformation que nous pourrions observer dans ces secteurs, l’exploration des incidences de la convergence bionumérique sur des secteurs particuliers pourrait révéler des possibilités, des défis et des dilemmes plus systémiques auxquels la société sera confrontée.
La convergence bionumérique ouvre de nouvelles perspectives sur l’incidence des entités biologiques sur les économies, sur les liens interdépendants entre le monde naturel et les secteurs, sur l’évolution de la technologie et la manière dont elle permet de nouvelles innovations biologiques, sur ce qui constitue un lieu idéal pour l’implantation humaine, sur nos responsabilités éthiques vis-à-vis du monde naturel, ainsi que sur d’autres défis et possibilités susceptibles de se présenter au cours de notre évolution en tant qu’espèce.
La convergence bionumérique impose également de nouveaux défis et dilemmes : comment coordonner les approches réglementaires internationales afin d’éviter que les pays ne se lancent dans des expériences dont les conséquences potentielles pourraient se répercuter au-delà des frontières? Quelles pourraient être les répercussions économiques sur les différentes industries, et quel effet cela pourrait-il avoir sur la compétitivité des pays? Quelles incidences les nouvelles possibilités d’augmentation humaine peuvent-elles avoir sur l’équité et la discrimination? Dans quelle mesure devons-nous donner la priorité à la préservation des modes de vie traditionnels? Nous approchons peut-être d’une nouvelle ère dans laquelle les cadres de gouvernance et de réglementation incluent et ciblent les innovations bionumériques.
En réfléchissant à la transition, en évaluant largement les risques possibles et en tirant parti des possibilités, on pourrait assurer un meilleur avenir au Canada et au monde.
Remerciements
Horizons de politiques se situe à l’avant-garde d’un domaine de la prospective appelé la « convergence bionumérique ». Ce rapport examine 5 secteurs où des perturbations possibles peuvent se produire et explore comment ces systèmes peuvent changer en raison de la convergence bionumérique. Avec l’émergence de ce nouveau domaine, nous continuerons d’examiner les avenirs plausibles de la convergence bionumérique et les questions de politiques qui pourraient se poser.
Équipe du projet d’exploration de la convergence bionumérique
Katherine Antal, analyste principale en prospective
Marcus Ballinger, gestionnaire
Steffen Christensen, analyste principal en prospective
Pierre-Olivier DesMarchais, analyste principal en prospective
Avalyne Diotte, analyste en prospective
Evan Larmand, analyste en prospective
Kristel Van der Elst, directrice générale
Communications
Maryam Alam, conseillère en communicationLaura Gauvreau, gestionnaire
Geraldine Green, traductrice
Alain Piquette, graphiste
Nadia Zwierzchowska, rédactrice
Margareta Drzeniek, rédactrice (externe)
Andrew Wright, rédactrice (externe)
Nous tenons à remercier nos collègues Imran Arshad, Fannie Bigras Lafrance, Alexis Conrad, Louis-Philippe Gascon, Tammy Lemieux, Nelly Leonidis, Pascale Louis et Khadyjatou Toukourou pour leur soutien dans ce projet.
Nous tenons à remercier toutes les organisations et personnes qui ont contribué à notre réflexion dans le cadre de ce rapport.
Nous sommes impatients de collaborer avec des partenaires et des parties prenantes sur l’étude de la convergence bionumérique.
© Sa Majesté la Reine du Chef du Canada; 2022.
Pour obtenir des renseignements sur les droits de reproduction : contactez-nous
PDF No de cat. : PH4-191/2022F-PDF
ISBN : 978-0-660-43163-5