L’avenir de la création de sens
AVERTISSEMENT
Horizons de politiques Canada (Horizons) est une organisation de prospective stratégique au sein du gouvernement du Canada qui a le mandat d’aider le gouvernement à développer des politiques et des programmes axés sur l’avenir, qui sont plus solides et plus résilients face aux changements perturbateurs à l’horizon. Le contenu de ce document ne représente pas nécessairement les idées du gouvernement du Canada, ou des départements et des organismes participants.
Contenu
- Avant propos
- Introduction
- Domaines de changement
- Questions pertinentes pour les politiques
- Conclusion
- Annexe
- Remerciements
Avant propos
On a parfois l’impression que donner un sens au monde devient plus difficile de jour en jour. Des volumes d’information sans précédent nous parviennent par des canaux dont le nombre et la diversité ne cessent d’augm enter. Certaines de ces informations sont douteuses, voire et dangereuses. Avec le temps, les Canadiens pourraient avoir de plus en plus de mal à savoir à qui ou à quoi se fier lorsqu’ils prennent d’importantes décisions sociales, économiques, environnementales et politiques.
Ces perturbations permanentes de la prise de décision individuelle et collective constituent des défis évidents pour les décideurs. En même temps, elles laissent entrevoir des avenirs étonnamment positifs, où notre capacité à nous comprendre et à comprendre les systèmes complexes qui façonnent nos vies améliore radicalement les résultats pour toutes les personnes concernées.
Dans le cadre de son mandat, Horizons de politiques Canada suit l’évolution de nos routines, de nos capacités, de nos outils et de nos cont extes de production de sens afin d’identifier les principaux domaines de changement et les premières implications politiques. Nous présentons ci-dessous les résultats préliminaires de ce travail.
Comme toujours, vos commentaires et votre participation sont les bienvenus et nous aident à poursuivre notre travail sur les avenirs sociaux.
Nous espérons que vous jugerez rapport instructif.
Kristel Van der Elst
Directrice générale
Horizons de politiques Canada
INTRODUCTION
La création de sens détermine ce que les gens pensent savoir, comment ils prennent leurs décisions et comment ils agissent. Elle affecte l’interprétation par les Canadiens des informations qui leur sont communiquées. Elle joue aussi un rôle déterminant dans la confiance qu’ils accordent à leur gouvernement, dont dépendent en grande partie leurs vues à long terme sur leurs institutions et sur la science.
Horizons de politiques explore la façon dont la création de sens par les Canadiens pourrait évoluer à l’avenir.
La désinformation virale et les théories du complot polluent notre environnement d’information. Elles façonnent la manière dont un nombre croissant de Canadiens attribuent un sens au monde, ce qui a, en retour, une influence sur leurs décisions sociales, économiques et politiques. Ces forces pourraient gagner encore plus en influence.
Il est difficile de cerner exactement comment cette situation a pu se produire. Le problème est-il attribuable à la technologie? À de faibles cadres de réglementation? Au modèle opérationnel des médias sociaux? À l’influence d’acteurs mal intentionnés?
Chacun de ces facteurs vient à l’esprit pour de bonnes raisons. Toutefois, si on s’en tient à ces facteurs lors de l’analyse, on confirme une hypothèse problématique, à savoir que le problème est lié à l’offre, plutôt qu’à la demande. Nous supposons que les gens veulent accéder à un contenu rationnel, objectif et fondé sur des données probantes. Cependant, selon les signaux actuels, la désinformation et les théories du complot permettent de répondre à des besoins internes puissants qui ne sont pas entièrement rationnels et qui ne sont pas satisfaits par d’autres moyens.
Si à l’avenir les forces de l’offre et de la demande rendent la désinformation et les théories du complot encore plus répandues et attrayantes, il peut être avantageux de tenir compte de l’offre et de la demande dans le cadre des activités de création de sens des Canadiens.
La désinformation n’est qu’un des aspects du nouvel environnement d’information associé à la création de sens. Horizons de politiques Canada (Horizons de politiques) se penche sur la question plus générale de savoir comment la création de sens par les Canadiens pourrait évoluer à l’avenir. Par création de sens, on entend le processus par lequel les gens recueillent et interprètent l’information, afin de donner un sens à leur vie et au monde. La création de sens se trouve à la base de ce que les gens pensent savoir, de la manière dont ils prennent des décisions et de leur comportement. La prospective sur la création de sens pourrait aider les responsables de l’élaboration des politiques à l’échelle du gouvernement. Par exemple, les changements dans la manière dont les Canadiens attribuent un sens à l’information pourraient avoir une incidence sur la façon dont ils interagissent avec les institutions de gouvernance. De tels changements pourraient également nuire à l’efficacité des programmes et politiques publiques. Les changements dans la création de sens pourraient influer sur la manière dont gouvernement crée et organise ses propres informations, sur son processus décisionnel et sur sa façon de communiquer avec les Canadiens et avec le monde.
Horizons de politiques Canada explore l’avenir de la création de sens dans le cadre de son plus vaste domaine de prospectives sur les avenirs sociaux. Comme tous les travaux d’Horizons politiques, ce projet vise à aider le gouvernement du Canada à concevoir des politiques et des programmes résilients face à des changements perturbateurs et solides dans un éventail d’avenirs plausibles. L’objectif de cette étude est de contribuer à l’élaboration de stratégies et de politiques, de renforcer les capacités d’anticipation, de tester les hypothèses de planification et de soutenir des réseaux informés et collaboratifs en lien avec les enjeux horizontaux.
Le présent document a une portée plus précise. Il cherche à soutenir les activités de sensibilisation d’Horizons de politiques auprès des spécialistes et des autres intervenants, qui peuvent l’aider à comprendre le système de la création de sens, des changements qu’il connaît et de ce à quoi il pourrait ressembler à l’avenir. À cette fin, le document commence par expliquer ce qu’on entend par « création de sens », avant de présenter quelques sources et domaines de changement dans le processus de création de sens. Il conclut en posant quelques questions visant à faire des liens potentiels entre ces changements et le paysage stratégique élargi.
Cette étude se penche sur la perspective élargie de la création de sens. Cela peut être aussi simple que ce qui se passe entre un stimulus et un comportement. Et cela peut être aussi complexe que la façon dont les personnes et les machines interagissent pour accéder à l’information, la filtrer et la traiter lorsqu’elles prennent une décision.
Figure 1: Notre modèle simplifié de la création de sens
Domaines de changement
Nous observions déjà des changements puissants à la création de sens avant le début de la pandémie de COVID-19. Ces changements ont été nombreux à s’accélérer et à prendre de la vigueur. Parallèlement, le double défi de la communication d’informations vitales sur la santé publique aux Canadiens et la diversité de leurs réponses à ces informations ont mis en évidence l’importance réelle de la création de sens.
Figure 2 : Domaines de changement dans la crèation de sens
Production des connaissances et pouvoir
Les développements technologiques et sociaux en cours pourraient perturber notre façon de créer, de diffuser et de valider les connaissances ainsi que le pouvoir des experts et l’organisation des institutions.
Autorité en transition. Les changements technologiques et sociaux ont affaibli le pouvoir des autorités traditionnelles de création de sens telles que la presse, les experts académiques et le gouvernement. De nouveaux participants à la création de sens, comme les influenceurs sur les médias sociaux, ont vu leur présence grandir. Ces changements ont également ouvert des espaces pour les voix des communautés exclues et marginalisées. L’érosion des anciennes autorités chargées de la création de sens remet également en question les normes des connaissances traditionnelles qui nous aidaient à distinguer le vrai du faux, l’information de la désinformation et le sens du non-sens.
Accès aux connaissances. L’accès public à l’écosystème de recherche s’épanouit grâce à des initiatives scientifiques citoyennes, les mouvements du libre accès et des données ouvertes et les efforts déployés pour que l’héritage culturel soit accessible en format numérique. Cependant, les vastes banques de recherche et d’information des entreprises technologiques demeurent des réserves privées. Une infrastructure numérique inégale peut également se dresser en obstacle à la connaissance de pointe, tout comme les éditeurs et les institutions soucieux de protéger les profits découlant de la propriété intellectuelle.
Confiance en la recherche. La controverse entourant la fiabilité de certaines recherches en sciences sociales pourrait aider à répandre chez le public un sentiment anti-science et anti-expert. La diminution de la confiance du public envers la recherche universitaire pourrait non seulement affaiblir l’adhésion populaire aux directives de santé publique et aux actions climatiques, mais également réduire le soutien au financement de la recherche par le gouvernement. La fluctuation de la confiance du public dans les sciences de la santé provoquée par COVID-19 pourrait nuire ou renforcer le soutien populaire à la recherche.
Production des connaissances. La fusion des nouvelles technologies de communication numérique, l’abandon des silos disciplinaires et l’arrivée d’idées et d’outils nouveaux transforment la création des connaissances. Alors que nous trouvons de nouvelles façons d’explorer l’univers et nous-mêmes, il se peut que nous créions des connaissances auparavant inimaginables et qui pourraient transformer nos vies pour le mieux. Parallèlement, la COVID-19 a mis sur pause de nombreuses collaborations importantes en matière de connaissances. Des perturbations longues ou permanentes pourraient ralentir ou modifier la nature de la création de connaissances et toutes les activités constructives qu’elle soutient.
Éducation par le biais du numérique. La COVID-19 a accéléré la transition vers l’apprentissage en ligne et fait ressortir les faiblesses des systèmes traditionnels d’éducation, qui semblent décalés par rapport à nos vies numérisées. L’accès à une infrastructure numérique de qualité est maintenant un enjeu majeur, vu ses effets évidents sur l’équité sociale. Les compétences numériques et les cadres critiques sont devenus des préoccupations pour les enseignants, les apprenants et les planificateurs de l’éducation. L’expérience montre aussi la valeur constante des interactions sociales, de l’activité physique et de l’exposition à la nature, parmi les éléments contribuant à l’apprentissage. Transformer l’éducation en réaction à ces préoccupations pourrait surcharger les capacités de création de sens des futures générations, et cela comporterait des avantages en matière de créativité, d’innovation et de compétitivité.
Marché de la fausse information. Il devient de plus en plus facile et abordable de créer de la mésinformation et de la désinformation complexes. Cela explique en partie pourquoi il en existe tant. La demande pour un tel contenu semble aussi augmenter chez une grande partie du public. Si l’offre et la demande continuent de croître, le faux contenu pourrait inonder l’écosystème de l’information. Les faits et la vérité pourraient être plus difficiles à détecter. Cela pourrait avoir pour effet demasquer les signaux précieux dans un océan de bruit, d’augmenter l’anxiété quant à l’avenir et de nourrir les théories conspirationnistes.
Évolution des médias. À l’exception de quelques médias de premier ordre et de médias publics, les médias traditionnels imprimés et parlés continuent de décliner face à la concurrence des méga plateformes des réseaux sociaux. Cela dit, les méga plateformes ne sont pas les seules en quête d’attention et de revenus. Les réseaux tentaculaires de petits médias hyperlocaux et hyperpartisans (dont certains ont des liens avec des intérêts politiques ou des états étrangers) sont aussi en émergence. Une telle modification du paysage médiatique pourrait mener à une révision des normes journalistiques et éditoriales et avoir inévitablement des effets sur l’information à la disposition des Canadiens.
Géopolitique des savoirs. Les États asiatiques, de plus en plus confiants, exercent une influence culturelle et économique accrue sur leurs voisins et sur le monde. Dans un avenir rapproché, les états les plus dynamiques de l’Afrique pourraient jouer un rôle similaire. Cela pourrait changer l’influence mondiale de certaines normes de création de sens et modèles mentaux (ex. néolibéralisme, collectivisme, démocratie). De nouveaux blocs géopolitiques ancrés dans des perspectives de création de sens partagées pourraient également suivre, faisant ainsi changer les priorités stratégiques, les pratiques diplomatiques et les relations commerciales.
Perturbation numérique
Les changements rapides au paysage numérique modifient la façon dont les Canadiens créent l’information, y accèdent et la traitent. Cela pourrait avoir des répercussions considérables sur nos vies sociales et nos institutions.
Omniprésence de l’intelligence artificielle (IA). Les algorithmes façonnent ce que nous voyons et ce à quoi nous nous intéressons en ligne. De plus, ils jouent un rôle central dans notre façon de traiter des situations complexes et de grandes quantités d’information. La progression constante de l’apprentissage machine pourrait améliorer la capacité de l’IA de comprendre le contexte et de créer du contenu original. Il se peut que les humains aient du mal à comprendre pourquoi ou comment l’IA fait des choix analytiques ou créatifs, même si nous tirons profit des nouvelles perspectives prenant appui sur une logique non humaine.
Expériences de jeu riches. Les jeux multijoueurs immersifs en ligne deviennent des moyens plus profonds, plus riches et plus captivants de partager des expériences sociales, esthétiques et intellectuelles. Ce qui se passe en jeu et la structure des diverses réalités de jeu pourraient grandement influer sur le sens que les gens attribuent à leur expérience « hors jeu », si cette distinction tient encore.
Surveillance et tri social. Nos interactions avec les outils en ligne, l’électronique domestique et les lieux de travail, ainsi que nos transactions avec les consommateurs, nous impliquent dans des systèmes complexes de données et de surveillance de grande envergure. Ils peuvent nous aider à donner du sens à notre contexte, mais peuvent aussi aider d’autres à attribuer pour nous un sens, mais à leurs propres fins. Les données qui en résultent peuvent être utilisées pour créer des données sociales essentielles, par exemple pour suivre la propagation d’une maladie. Elles peuvent aussi être utilisées pour nous séparer en groupes, nous évaluer par rapport à certains critères et nous offrir (ou nous cibler pour) un traitement individualisé. Dans une « société du savoir » en émergence, les données concernant en qui et en quoi nous pouvons avoir confiance peuvent nous habiliter. Nous pourrions aussi nous voir récompensés ou pénalisés par les jugements des systèmes de réputation. Notre capacité à donner du sens à notre monde peut dépendre de plus en plus de ce que nous pouvons savoir ou comprendre de la surveillance et du tri social — et de notre façon d’y réagir.
Surcharge d’information. La quantité massive de données circulant sur les multiples canaux permet un accès sans précédent aux connaissances. Par contre, elle nous met quotidiennement au défi d’absorber l’information qui nous arrive et de lui donner du sens. Il est possible de se sentir envahi, fatigué et anxieux alors que notre esprit s’efforce de faire face à tout ce flux d’information numérique.
Changement des pratiques de communication. La transition du texte à la voix, pour la recherche, ainsi que de la représentation verbale à visuelle perturbent les manières traditionnelles d’envoyer, de recevoir et d’interpréter l’information. Nous voyons apparaître de nouvelles formes d’expression revêtant une valeur symbolique. Certaines, comme les mèmes, semblent inoffensives et sont devenues un mode d’expression populaire. D’autres, comme les hypertrucages, provoquent de l’anxiété quant à l’état de l’écosystème de l’information. À l’avenir, les nouvelles normes de communication qui émergeront de telles pratiques pourront entraîner des changements des processus sensoriels et cognitifs, ainsi que de la conception des réseaux de communication.
Récits et expériences partagés
Les récits et expériences partagés soutiennent nos identités et forgent notre interprétation du monde. Des perturbations des uns ou des autres pourraient ébranler les fondements de la création de sens des Canadiens.
Incertitude et anxiété envahissantes. Avant la COVID-19, les préoccupations associées aux changements, comme l’augmentation des inégalités et l’accélération des changements climatiques, étaient de puissants facteurs anxiogènes. La pandémie a amené encore plus de raisons de se sentir anxieux; elle a perturbé les hypothèses sur la vie sociale, la santé, la garde des enfants et le travail. Les règles de distanciation physique ont transformé es rituels, comme les cérémonies de remise de diplôme, les mariages et les funérailles, qui nous réconfortent et nous aident à donner un sens aux grandes transitions de nos vies. La perte de traditions et d’institutions stables pourrait amplifier l’anxiété collective, la rendant possiblement même dominante dans la vie sociale. D’autre part, cela pourrait augmenter l’adhésion aux théories ou idéologies conspirationnistes qui promettent le confort de la certitude.
Révision des récits partagés. Les récits partagés, comme la « découverte » des Amériques parles Européens ou le triomphe de la science, façonnent l’interprétation des expériences et de l’information quotidiennes. Ils sous-tendent aussi les identités collectives. Les contre-discours convaincants (p. ex. histoires postcoloniales et réconciliation) et les expériences collectives (p. ex. pandémie) remettent en question ces histoires et pourraient nous amener à réviser nos identités partagées de manière constructive. Parallèlement, les nouveaux modèles d’affaires des médias et les pratiques changeantes de l’auditoire transforment comment, où et avec qui nous faisons l’expérience des histoires qui forgent en majeure partie notre création de sens.
Abondance de communautés de sens. Certaines communautés sont définies par des cadres partagés de création de sens, comme une doctrine religieuse, une théorie conspirationniste ou l’adhésion à la pensée scientifique. La répartition des Canadiens parmi ces communautés semble changer. En effet, certaines communautés de création de sens établies (comme certaines dénominations religieuses traditionnelles) déclinent. Entretemps, d’autres (p. ex. environnementalisme) grandissent et de nouvelles (p. ex. mouvement Black Lives Matter) apparaissent. Cela pourrait redistribuer le pouvoir entre les cadres communs (néolibéralisme, justice sociale, autoritarisme) auxquels les gens font appel pour comprendre le monde.
Inertie nostalgique. La nostalgie d’une époque plus simple et certaine peut, en partie, expliquer la popularité pendant la pandémie d’activités comme faire son propre pain et jouer à des jeux de société. Avant cela, nous avons vu d’autres formes de nostalgie, comme la réaction de rejet des technologies numériques et l’intérêt grandissant pour le style de vie agricole. L’utilisation croissante de cadres de sens nostalgiques pourrait rendre plus difficile l’identification et l’adoption des solutions innovantes aux problèmes familiers (tels que le changement climatique) et aux nouvelles perturbations (telles qu’une pandémie). Les nostalgies conflictuelles entre des groupes qui sont également en désaccord sur la nature des défis actuels pourraient également aggraver les divisions sociales.
Sensations, sentiments et réflexions
La création de sens dépend de nos sens et de nos processus incarnés; cela se passe dans et à travers notre corps. Tout changement de nos capacités sensorielles, de notre corps et des environnements physiques pourrait changer notre façon de donner un sens à nous-mêmes, aux autres et au monde.
Amélioration humaine. La prothétique augmentée numériquement, les technologies qui donnent une réaction tactile (haptique) et la réalité virtuelle ou augmentée pourraient élargir la portée de nos sens physiques ou créer de toutes nouvelles manières de sentir. Cela pourrait radicalement transformer la création de sens, chez les humains, en relation avec nos environnements bâtis et naturels ainsi qu’avec les êtres numériques et organiques.
Racines du comportement social. De nouvelles recherches sur la biologie et la neuroscience sociale précisent l’interaction entre les systèmes biologiques et les comportements sociaux. Les nouvelles technologies peuvent imager le cerveau de plusieurs personnes qui interagissent dans des situations réelles, révélant ainsi comment nous nous influençons mutuellement et comment cela façonne notre manière d’interpréter les expériences et l’information. Cela pourrait aussi dévoiler de nouvelles façons de pousser le comportement humain à des fins prosociales ou de gain commercial.
Effets biologiques de l’expérience sociale. L’épigénétique sociale révèle comment des expériences sociales puissantes, comme l’éducation et les traumatismes, peuvent « s’incarner en nous » et affecter notre développement physiologique et psychologique. Nous apprenons constamment comment les expériences et les expositions peuvent nous changer au niveau moléculaire et modifier la façon dont nos gènes s’expriment. Cela pourrait suggérer de nouvelles approches à la santé mentale et au développement humain, ainsi que de nouveaux paramètres de conception pour les environnements bâtis et les interfaces humain-machine.
Convergence du numérique et du physique. La médiation numérique change notre relation aux objets. L’haptique, la réalité augmentée et la réalité virtuelle nous permettent de faire l’expérience tangible d’objets virtuels. Si la distinction entre virtuel et physique continue de s’estomper de manière à privilégier les expériences virtuelles, alors le monde virtuel pourrait bientôt rivaliser avec le monde physique comme cadre de référence principal. Les gens qui comprennent les objets et les environnements par le biais d’expériences numériques pourraient être très mal à l’aise dans le monde physique non augmenté. Cependant, ils pourraient aussi ajouter une pensée créative à leurs interactions avec les objets et espaces physiques. Notre façon de percevoir la valeur pourrait aussi changer et rendre les biens et l’économie virtuels aussi importants que leurs pendants physiques.
Environnements de sens. Même dans les sociétés où les couches d’infrastructure isolent les humains de la nature, les conditions environnementales aident à réguler le corps et les émotions. Ces facteurs ont à leur tour une grande incidence sur notre création de sens. Les perturbations environnementales attribuables aux changements climatiques pourraient ébranler les conditions environnementales qui sous-tendent notre équilibre émotif et physique. Les préoccupations climatiques pourraient devenir plus urgentes lorsque nous en ressentirons directement les effets. Un tel inconfort pourrait nous pousser vers des systèmes et des solutions favorisant la synergie avec la nature plutôt que l’isolement de la nature. D’autre part, cet inconfort pourrait mener certains à renforcer leur déconnexion des environnements naturels.
Modèles mentaux et façons de savoir
Les modèles mentaux et les façons de savoir filtrent et encadrent nos activités de recherche d’information et nos expériences vécues. Des modifications aux uns ou aux autres pourraient transformer les fondements de la création de sens.
Pédagogie autochtone. Certains peuples autochtones utilisent la pédagogie autochtone, qui se veut un transfert des connaissances ancrées dans leurs traditions, pour aider leurs communautés à prioriser les façons de savoir ancestrales. Cela s’inscrit dans des projets de reconstruction des systèmes sociaux, comme la protection de l’enfance et l’éducation, et de revalorisation de l’expression culturelle autochtone. Alors que de nombreuses visions du monde autochtone informent la pédagogie autochtone, plusieurs partagent des visions holistiques du monde, mettent les gens au centre, perçoivent les humains et la terre comme des remèdes, et évaluent les décisions en tenant compte de la toile de fond à long terme, présente et future (c.-à-d. sept générations).
Réconciliation et décolonisation. Les peuples autochtones expriment leurs cultures, valeurs, langues et façons de savoir de nombreuses manières et sur de multiples canaux. Le futurisme, l’activisme, le développement communautaire et l’érudition autochtones montrent la vitalité des façons de savoir autochtones. La sensibilisation accrue aux visions autochtones du monde pourrait aider les Canadiens à reconnaître et à réévaluer les façons coloniales de pensers. Accepter la validité des façons autochtones de savoir pourrait ouvrir de nouvelles perspectives sur l’économie politique, la réforme institutionnelle et la politique sociale.
Remise en question de l’économie. Un débat est en cours, même dans les discussions politiques populaires, au sujet de l’utilité des concepts économiques centraux tels que le PIB, le taux d’escompte futur et les effets externes. Les doutes et l es préoccupations augmentent quant aux changements climatiques, à la transformation numériqu e de l’économie, aux inégalités historiques et aux répercussions variables de la COVID-19 sur les divers segments de la société. Parallèlement, des concepts économiques alternatifs, comme l’indice du bonheur, la croissance zéro et les finances durables, prennent de l’importance dans certains cercles. Les modifications du sens que nous attribuons à l’économie pourraient transformer les processus administratifs, les politiques des recettes et des dépenses publiques ainsi que les conditions sociales vécues par les Canadiens au quotidien.
Remise en question de la réalité partagée. La plupart des sociétés saines et épanouies respectent des réalités partagées ancrées dans des normes des connaissances communes. Bien qu’elles ne soient jamais complètes, parfaites ou permanentes, les réalités partagées nous aident à établir le consensus nécessaire à l’action collective. Dans certains avenirs plausibles, ces lieux communs pourraient s’estomper, ouvrant ainsi la porte à la multiplication de silos de création de sens concurrents, particulièrement en ligne. Si des groupes fondés sur des normes particulières de création de sens ne peuvent comprendre la réalité des autres, les divisions sociales pourraient s’approfondir. Dans d’autres avenirs plausibles, la réalité collective deviendra trop fermée ou confinée, car les plateformes, technologies et pouvoirs mondiaux très puissants, ou encore les idéologies dominantes, évinceront les perspectives divergentes ou moins puissantes.
Questions pertinentes pour les politiques
Puisque la création de sens façonne énormément comment les gens pensent et agissent, elle touche de nombreux domaines politiques. Voici quelques questions pertinentes qui peuvent se poser lorsque les décideurs politiques s’engagent dans une démarche prospective sur l’avenir de la création de sens.
ÉDUCATION ET RECHERCHE
- Financement de la recherche : Que pourrait signifier l’évolution future de l’écosystème d’information au Canada pour le rôle et les objectifs du financement de la recherche du gouvernement?
- Compétences et littératies : De quelles compétences et de quelles littératies les Canadiens pourraient-ils avoir besoin pour comprendre le nouvel environnement médiatisé numérique? Quelles nouvelles possibilités pourraient apparaître en ce qui concerne la formation et l’acquisition de compétences?
INFRASTRUCTURE
- Création de sens dans les endroits publics : Comment certaines technologies, comme la réalité augmentée, peuvent-elles changer les façons dont les Canadiens interagissent avec les symboles et lieux nationaux (comme les monuments, les musées, les immeubles fédéraux et les parcs nationaux)? Dans quelle mesure les institutions pourront-elles ou voudront-elles exercer un contrôle, s’il y a lieu, sur la manière dont nous faisons l’expérience de ces endroits publics?
- Outils et infrastructure numériques : Les outils et réseaux numériques pourraient-ils devenir si essentiels dans le cadre de la création de sens et de la vie sociale des Canadiens que ces derniers commenceront à les considérer comme une infrastructure publique essentielle ou même un droit?
- Espaces pour la mobilisation publique : Les Canadiens pourraient-ils commencer à considérer les environnements de communication non classiques, comme les jeux vidéo à joueurs multiples, comme des espaces réservés à la vie civile, ainsi qu’aux activités récréatives?
ÉCONOMIE
- Donner un sens à l’économie : Comment les Canadiens attribueront-ils un sens à l’économie et à leur propre bien-être économique à l’avenir? Quelles mesures seront les plus utiles pour évaluer les politiques, suivre le rendement économique en fonction des objectifs collectifs, et tirer parti des nouvelles occasions?
- Biens numériques et consommateurs : Comment la culture de consommation des Canadiens pourrait-elle évoluer, tandis que les biens numériques transforment les systèmes d’échange et la perception de la valeur?
- Propriété intellectuelle (PI) : Comment le contexte des règles relatives à la PI change-t-il, tandis que des machines commencent à créer des produits culturels, comme des oeuvres d’art ou de la musique, en plus de commencer à faire elles-mêmes des découvertes?
ENVIRONNEMENT
- Changements climatiques : Dans un nouvel environnement de création de sens, comment les Canadiens pourraient-ils recourir à l’intelligence collective pour donner un sens au climat changeant, en plus de se préparer à atténuer les répercussions des changements climatiques et à s’y adapter efficacement?
- Donner du sens aux écosystèmes : Comment les nouveaux outils et modèles mentaux peuvent-ils modifier la façon dont nous donnons un sens à la nature et à la terre?
COMMUNICATION ET ENGAGEMENT DU PUBLIC
- Désinformation et discours haineux : Nos hypothèses et outils stratégiques actuels sont-ils bien adaptés à un écosystème d’information évoluant rapidement qui est affecté par la désinformation, les discours haineux et les théories du complot?
- Intervention d’urgence : Pendant et après la pandémie, comment les Canadiens donneront-ils un sens aux urgences à l’avenir, et communiqueront-ils à ce sujet?
- Radiodiffusion et politique relative aux médias de communication : Comment les besoins et les expériences des Canadiens dans l’environnement d’information modifieront-ils leurs attentes en ce qui concerne les radiodiffuseurs publics et la politique en matière de communication?
- Culture et communications : Quelle incidence des défis communs, comme l’incertitude et l’anxiété croissantes, ont-ils sur les approches du gouvernement en matière de communication et de soutien à la culture?
- Géopolitique de la création de sens et influence d’états étrangers : Tandis que les Canadiens continuent d’interagir dans des espaces numériques non territoriaux, comment l’intensité et le style des interventions des gouvernements étrangers dans leur vie évolueront-ils?
RÉCITS ET IDENTITÉ
- Identité, récits et symboles nationaux : Comment l’attachement des Canadiens au Canada et leur relation avec l’histoire du Canada pourraient-ils changer?
- Savoir autochtone : En plus des domaines stratégiques associés, de manière traditionnelle, aux relations entre la Couronne et des Autochtones, quelles autres activités du gouvernement peuvent subir une influence de l’acceptation plus élargie du savoir autochtone?
- Langues : Quelle incidence l’essor des technologies de traitement des langues naturelles a-t-il sur la promotion des langues officielles, la continuité des langues autochtones et les occasions offertes aux personnes qui parlent des langues autres que le français ou l’anglais?
- Sécurité publique : Quelles répercussions les changements dans l’environnement de création de sens, surtout en ce qui concerne la manière dont nous formons des communautés de création de sens, ont-ils sur la façon dont les Canadiens comprennent l’extrémisme violent et y réagissent?
GOUVERNANCE
- Appareil décisionnel et de création de sens du gouvernement : Quelle incidence les outils de création de sens automatisés pourraient-ils avoir sur les activités internes et le processus décisionnel du gouvernement? À l’avenir, comment les Canadiens envisageront-ils l’accès significatif à l’information?
- Confiance publique : Comment les institutions peuvent-elles gagner la confiance dans les nouveaux environnements de création de sens et la garder?
CONCLUSION
Les Canadiens vivent des changements considérables en ce qui concerne les sources d’information, la manière dont ils filtrent et interprètent les renseignements et à qui ils accordent leur confiance. L’avenir pourrait être caractérisé par d’autres changements, peut-être même des perturbations radicales. Petits ou grands, ces changements pourraient avoir d’importantes répercussions sur la vie des Canadiens, si bien qu’il pourrait y avoir plusieurs avenirs plausibles de la création de sens. Tandis que les forces de changement énumérées dans le présent document se chevauchent, se heurtent, se renforcent mutuellement ou s’opposent les unes aux autres, elles pourraient transformer notre système de création de sens commun. D’importants changements dans la façon dont les Canadiens pensent, agissent et planifient l’avenir pourraient en découler.
Nous invitons les partenaires et les parties prenantes à explorer avec nous la manière dont les changements de la création du sens pourraient se manifester. Cela nous aidera à produire une prospective solide et pertinente pour envisager ces avenirs plausibles, ainsi que les défis et les opportunités qu’ils pourraient présenter.
ANNEXE 1
DOMAINES DE CHANGEMENT DANS LA CRÉATION DE SENS
Production des connaissances et pouvoir
- Accès aux connaissances
- Éducation par le biais du numérique
- Confiance en la recherche
- Marché de la fausse information
- Autorité en transition
- Évolution des médias
- Géopolitique des savoirs
- Production des connaissances
Perturbation numérique
- Surcharge d’information
- Surveillance et tri social
- Changement des pratiques de communication
- Expériences de jeu riches
- Omniprésence de l’intelligence artificielle (IA)
Récits et expériences partagés
- Abondance de communautés de sens
- Révision des récits partagés
- Incertitude et anxiété envahissantes
- Inertie nostalgique
Sensations, sentiments et réflexions
- Racines du comportement social
- Environnements de sens
- Convergence du numérique et du physique
- Effets biologiques de l’expérience sociale
- Amélioration humaine
Modèles mentaux et façons de savoir
- Remise en question de l’économie
- Réconciliation et décolonisation
- Remise en question de la réalité partagée
- Pédagogie autochtone
REMERCIEMENTS
Horizons de politiques explore une ligne de prospective sociale axée sur la création de sens. Ce document présente un résumé de nos premières recherches identifiant des domaines de changement connexes. Au fur et à mesure que nous approfondirons notre compréhension de ce domaine, nous continuerons à examiner les avenirs plausibles de la recherche de sens et les questions politiques qu’ils pourraient inspirer.
L’équipe du projet tient à remercier tout particulièrement les experts qui ont généreusement partagé leur temps et leur expertise pour soutenir leur recherche. Professeur Brian Baigrie, Professeur Steve Bailey, Chris Beall, Professeure Wendy Chun, Professeur Harry Collins, Ian Dahlman, Professeur Greg Elmer, Stephanie Fielding, Professeur Brett Grainger, Professeur Anatoliy Gruzd, Professeur Michael Inzlicht, Professeur Rees Kassen, Professeure Carita Kiilli, Dr. Jamie Lee Kirtz, Professeur Evan Light, Philip Mai, Professeure Rhonda McEwan, Professeur James Miller, Professeur Alexis Morris, Lindsay Noad, Professeur Jason Nolan, Professeur Georg Northoff, Professeur Mark Pickup, Professeur Fred Popowich, Brandon Rouleau, l’aîné Mac Saulis, professeur Avery Slater, Professeur Ozgur Turetken, Sarah Villeneuve, Suzanne Waldman, Professeur Andrew Wright, Professeur Sherry Yu, et Professeure Frauke Zeller, ainsi que ceux et celles qui souhaitent rester anonymes.
L’AVENIR DE LA CRÉATION DE SENS EQUIPE DE PROJET :
John Beasy, Analyste en prospective
Chris Hagerman, Analyste en prospective et chef de projet
Peter Padbury, Futuriste en chef
Simon Robertson, Gestionnaire, Prospective sociale
Julie-Anne Turner, analyste en prospective
Kristel Van der Elst, directrice générale
Eric Ward, directeur principal
COMMUNICATIONS :
Maryam Alam, conseillère en communications
Geraldine Green, conseillère en communications
Nelly Leonidis, gestionnaire
Alain Piquette, graphiste
Nadia Zwierzchowska, rédactrice
NOUS AIMERIONS REMERCIER LES COLLÈGUES ACTUELS ET ANCIENS COLLÈGUES QUI ONT SOUTENUCE PROJET
Katherine Antal, Tom Baynes, Fannie Bigras-Lafrance, Graham Devitt, Blaise Hébert, Pascale Louis, Darren McKee, Kurt Richardson, et Sven Schirmer.