La géotechnomie : l’interaction de la géopolitique, de la technologie et de l’économie

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1.0 Introduction

La fusion de la géopolitique, de la technologie et de l’économie est en train de remodeler les règles de l’ordre international et de modifier l’équilibre actuel des pouvoirs et des influences. La puissance géostratégique est de plus en plus déterminée par la capacité à développer, contrôler et exploiter les technologies d’avant-garde. Ces technologies, qui sont appelées à restructurer les industries et les sociétés et à apporter des solutions à un certain nombre de défis mondiaux, vont des semi-conducteurs avancés à des technologies quantiques, du bionumérique et à l’hypersonique, et de la 5G à l’intelligence artificielle (IA) et aux mégadonnées.Note de fin de page1 Note de fin de page2 Note de fin de page3 L’innovation rapide menée par des acteurs non étatiques, en l’absence de structures de gouvernance mondiale, crée des incertitudes sans précédent.Note de fin de page4

La présence étendue des technologies à double usage, développées à des fins commerciales mais susceptibles d’avoir des applications militaires ou d’autres applications perturbatrices, fait converger les préoccupations en matière d’économie et de sécurité.Note de fin de page5La technologie est à la fois une source de pouvoir et un outil pour l’exercer. Les capacités technologiques ne déterminent pas seulement le succès économique et militaire, mais jouent également un rôle au niveau de la prospérité et de la capacité à relever des défis systémiques tels que la sécurité alimentaire, les pandémies et les changements climatiques.Note de fin de page6L’évolution rapide des technologies d’avant-garde accroît l’urgence et le coût de renonciation de l’inaction des gouvernements.

Les principaux acteurs utilisent leur supériorité technologique pour étendre leur influence mondiale, qui va de la domination numérique à la création de dépendances stratégiques.Note de fin de page7Note de fin de page8 Note de fin de page9 Certains pays deviennent indispensables en développant certaines capacités dans le cadre de leurs stratégies de sécurité.Note de fin de page10 D’autres s’appuient sur des fournisseurs étrangers et se retrouvent dépendants de technologies qui ne reflètent pas nécessairement leurs valeurs et leurs intérêts.Note de fin de page11 Ces technologies sont souvent intégrées dans des infrastructures essentielles, notamment les systèmes de transport, les réseaux énergétiques, les systèmes d’approvisionnement en eau et les réseaux de télécommunication, ce qui les expose à des menaces de sécurité telles que les cyberattaques et l’espionnage.Note de fin de page12 Note de fin de page13

Les pays, les institutions, les entreprises et les personnes pourraient avoir besoin de réfléchir aux futurs qui pourraient émerger lorsque la géopolitique, la technologie et l’économie se croisent et interagissent. Cela nécessiterait une compréhension approfondie des dynamiques complexes en jeu, de la manière dont ces forces pourraient remodeler nos sociétés et des stratégies et politiques susceptibles de favoriser la résilience, de projeter le pouvoir ainsi que de protéger les valeurs et les intérêts.

L’absence d’anticipation peut entraîner des dépendances critiques et des vulnérabilités accrues. Il est donc important d’examiner les changements et les dynamiques dans différents domaines de l’ordre international : économie, sécurité, relations internationales, valeurs et éthique.

2.0 Économie

Les politiques industrielles reviennent dans le monde entier.Note de fin de page14Note de fin de page15 TCes politiques se traduisent différemment d’un pays à l’autre, en fonction des considérations de sécurité nationale, des structures politiques et de la capacité d’investissement.Note de fin de page16 Tous les pays pourraient être de plus en plus amenés à trouver un compromis entre la croissance économique, l’accès à la technologie et la sécurité.

Les gouvernements doivent décider quelles sont les technologies à double usage.Note de fin de page17 Ils pourraient prendre le contrôle de ces technologies auprès des entreprises, en recourant éventuellement à des mesures juridiques précédemment réservées aux secteurs de la sécurité nationale.Note de fin de page18 Note de fin de page19 Certaines entreprises pourraient être fortement réglementées, quasi-nationalisées ou gérées comme des services publics.Note de fin de page20 Les réglementations pourraient inclure des interdictions pour les investisseurs ou les membres du conseil d’administration, des mesures de contrôle sur les exportations, des restrictions d’utilisation et des autorisations de sécurité obligatoires pour les employés de certains secteurs. Ces réglementations pourraient avoir des conséquences économiques négatives, notamment en limitant les investissements privés et en freinant l’innovation.

L’innovation et les progrès en matière de haute technologie nécessitent des investissements initiaux importants et risqués, mais seul un nombre limité d’investisseurs est capable de prendre de tels risques. Les limitations des marchés potentiels dues aux restrictions à l’exportation, aux sanctions et aux embargos rendent ces investissements encore plus risqués. Cela signifie que les gouvernements seront sous pression de couvrir leurs choix afin de minimiser les mauvais investissements, tout en subissant des pressions pour mettre en place des politiques industrielles qui déterminent les technologies, les secteurs ou les entreprises gagnants. Il existe également un risque de dépendance au sentier à l’égard des choix adoptés: en choisissant les gagnants, les gouvernements risquent d’affaiblir les signaux du marché qui favoriseraient la concurrence et l’innovation. Il est peu probable qu’un pays puisse acquérir un avantage stratégique dans tous les domaines ou le contrôle exclusif d’une technologie d’avant-garde particulière ; les pays devront peut-être choisir avec qui s’associer et quels aspects de la technologie privilégier.

En outre, les différentes politiques industrielles au sein des gouvernements pourraient varier en fonction des systèmes politiques.Note de fin de page21 Les gouvernements démocratiques axée sur le marché doivent trouver un équilibre entre la nécessité d’une intervention gouvernementale et le maintien de la confiance de leurs électeurs dans la résilience économique et l’impartialité de ces investissements. Les régimes autoritaires pourraient être moins motivés par ces préoccupations et adopter une approche plus sévère.

La dynamique entre l’économie, la sécurité et la technologie est susceptible de continuer à évoluer et à façonner les politiques industrielles. Étant donné que les acteurs non étatiques pourraient jouer un rôle plus important à l’avenir, les gouvernements et les autres intervenants voudront peut-être examiner les domaines qui peuvent offrir un avantage stratégique, ce qui pourrait créer des dépendances à l’égard d’acteurs étrangers, qui sont leurs alliés et comment ils créent des alliances.

3.0 Sécurité

Les pays qui peuvent développer et contrôler des technologies clés disposent d’un avantage significatif en termes de puissance économique et militaire.Note de fin de page22 Développées à l’origine pour les marchés de consommation et facilement accessibles au public, les technologies à double usage telles que les satellites, les drones et les logiciels de reconnaissance faciale sont en train d’être militarisées.Note de fin de page23 Selon l’utilisateur, ces technologies pourraient compromettre ou renforcer la sécurité intérieure, tout en portant atteinte à la vie privée et aux libertés civiles.

En raison de la prolifération de ces technologies, il est difficile pour les gouvernements de fixer des limites et de réglementer leur utilisation. Les régimes traditionnels de contrôle des armements, conçus pour les armes conventionnelles, ne sont pas adaptés à la réglementation des technologies émergentes.

Les responsables politiques, les décideurs et les intervenants devront peut-être prévoir quelles technologies émergentes sont les plus susceptibles d’avoir des applications à double usage et comment réagir rapidement aux nouvelles menaces qui pèsent sur la sécurité.

4.0 Relations internationales

La concurrence technologique modifie les règles de l’engagement international et remodèle les alliances entre les acteurs : ceux qui peuvent développer de nouvelles technologies, ceux qui peuvent les acheter et ceux qui ne peuvent faire ni l’un ni l’autre.Note de fin de page24 Note de fin de page25 Note de fin de page26 Les entreprises qui sont à l’origine des progrès technologiques, y compris dans de nombreuses technologies à double usage, deviennent des acteurs non étatiques clés dans la sphère géopolitique.Note de fin de page27Note de fin de page28 De nouvelles structures de gouvernance à l’échelle mondiale pourraient voir le jour et impliquer des acteurs non étatiques.

Pour être compétitifs dans ce paysage mondial en constante évolution, les pays doivent non seulement être capables d’innover et de produire à grande échelle, mais aussi d’avoir accès à des actifs stratégiques tels que les minéraux critiques, les semi-conducteurs, les matières biochimiques et les mégadonnées.Note de fin de page29 Cela peut nécessiter une coopération entre des pays aux valeurs divergentes.Note de fin de page30 Les gouvernements devront peut-être s’engager dans un processus continu de découverte, car ce qui est stratégiquement important aujourd’hui ne le sera peut-être plus demain. Ils doivent également anticiper la possibilité, même si elle est peu probable, de perdre la coopération avec des pays exportateurs de biens essentiels ou stratégiques.Note de fin de page31

La recherche d’un avantage stratégique s’inscrit également dans une tendance croissante à la démondialisation et au protectionnisme.Note de fin de page32 Note de fin de page33 Note de fin de page34 Le découplage actuel des hautes technologies entre les différentes économies crée une incertitude supplémentaire quant à la trajectoire future de la mondialisation, en particulier dans le domaine numérique.Note de fin de page35 Note de fin de page36 L’escalade de la course à la domination technologique et à l’influence géopolitique entre les systèmes chinois, américain et européen, par exemple, pourrait aboutir à la création de blocs hétéroclites dont les perspectives de collaboration seraient limitées.Note de fin de page37 Les pays d’un bloc pourraient être exclus des innovations et des avancées des autres blocs.

Dans ce contexte, les pays pourraient être amenés à réfléchir à la manière de coopérer sur des problèmes transnationaux complexes. En outre, les nouvelles technologies inopérantes dans les différents blocs pourraient limiter la collaboration de par leur conception. Les responsables politiques, les décideurs et les intervenants pourraient également être amenés à réfléchir à la forme que pourraient prendre les nouvelles structures de gouvernance mondiale qui intègrent des acteurs non étatiques.

5.0 Valeurs et éthique

Les technologies sont souvent imprégnées des préjugés ou des valeurs de ceux qui les développent.Note de fin de page38 Cela peut être involontaire ou intentionnel, dans le but explicite d’exercer un pouvoir et une influence politiques ou économiques. Par exemple, l’IA est formée à partir de données sélectionnées par le développeur et peut refléter les préjugés de la source des données.Note de fin de page39 Lorsque les pays importent des technologies, ils peuvent aussi importer par inadvertance des valeurs indésirables.

Le contrôle des données est de plus en plus important pour le leadership économique et l’influence géopolitique.Note de fin de page40 Ceci conduit souvent vers des régimes de données protectionnistes et de cadres de gouvernance numérique. La gouvernance des données varie considérablement entre les États-Unis, la Chine et l’Union européenne. Les États-Unis sont principalement motivés par des considérations économiques, la Chine se concentre sur la protection des intérêts de l’État et l’Union européenne donne la priorité à la protection des intérêts de ses citoyens.Note de fin de page41 En l’absence de normes mondiales, ces écosystèmes ont peu de chances de converger et risquent de former un rideau de fer numérique.Note de fin de page42 Note de fin de page43 Note de fin de page44

Il existe également une tension croissante entre la nécessité de supporter la science ouverte et la protection de l’innovation. Les instituts de recherche devront peut-être choisir avec qui ils travaillent et collaborent. Ils doivent également réfléchir à la manière dont leur découverte pourrait être utilisée ou éventuellement volée. Cela pourrait augmenter l’horizon temporel et le coût de l’innovation et limiter l’accès aux technologies de pointe et aux possibilités de collaboration transfrontalière.

Les responsables politiques, les décideurs et les intervenants devront peut-être identifier les préjugés inhérents à la technologie et déterminer lesquels pourraient être les plus préjudiciables à leurs valeurs et à leurs intérêts. Ils devront peut-être aussi étudier la possibilité d’élaborer des normes éthiques minimales.

6.0 Conclusion

La technologie transforme les règles du jeu géopolitique. Son intersection avec la stratégie de puissance et l’économie a amplifié l’incertitude, remettant en question les hypothèses conventionnelles sur l’avenir de l’ordre international.

L’évolution rapide du paysage mondial et l’innovation technologique nous obligent à revoir notre façon de comprendre l’ordre international et nos attentes quant à son avenir. Les interactions fluctuantes entre ces domaines entraînent des changements systémiques dans la répartition du pouvoir et de l’influence, ce qui pourrait avoir des implications politiques considérables. La prospective stratégiqueNote de fin de page45 peut aider à anticiper les résultats possibles.

Les responsables politiques, les décideurs et les intervenants pourraient être amenés à se poser des questions clés, notamment sur les points suivants : Où le pouvoir sera-t-il concentré? Qui seront les principaux acteurs? Quelles structures de gouvernance mondiales ou régionales pourraient émerger autour de la technologie? Quel rôle le Canada pourrait-il jouer dans la course mondiale à la domination technologique? Quelles sont les industries canadiennes susceptibles de gagner en importance dans un paysage mondial en rapide évolution? Comment ces changements pourraient-ils affecter la vie quotidienne des Canadiens? Quelle est la voie à suivre pour promouvoir au mieux les intérêts du Canada?

7.0 Équipe de projet

Marcus Ballinger, gestionnaire, recherche en prospective
Simon Robertson, directeur, recherche en prospective
Tieja Thomas, gestionnaire par intérim, recherche en prospective
Kristel Van der Elst, directrice générale
Sabika Zehra, analyste en prospective, recherche en prospective

8.0 Communications

Maryam Alam, conseillère en communications
Laura Gauvreau, gestionnaire, communications
Alain Piquette, graphiste
Andrew Wright, rédacteur (externe)
Nadia Zwierzchowska, conseillère principale en communications

Nous tenons à remercier nos collègues Imran Arshad, Pascale Louis-Miron, Megan Pickup, et Elisha Ram pour leur soutien à ce projet.

Avertissement

Horizons de politiques Canada (Horizons de politiques) est le centre d’excellence en prospective du gouvernement du Canada. Notre mandat est de doter le gouvernement du Canada d’une perspective et d’un état d’esprit tournés vers l’avenir afin de renforcer la prise de décisions. Le contenu de ce document ne représente pas nécessairement le point de vue du gouvernement du Canada ou des agences et ministères participants.


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