Épigénétique sociale : Comment le milieu où vous avez vécu votre petite enfance s’insinue « sous votre peau »

Ceci est un article d’une personne invité. Le contenu ne reflète pas les opinions d’Horizons de politiques Canada. L’influence durable de la petite enfance Nous comprenons intuitivement que le milieu dans lequel nous vivons a ... 2 7,19

Ceci est un article d’une personne invité. Le contenu ne reflète pas les opinions d’Horizons de politiques Canada.

L’influence durable de la petite enfance

Nous comprenons intuitivement que le milieu dans lequel nous vivons a une incidence sur la santé et le bien-être. Par exemple, vous savez sans doute que des niveaux élevés de pollution atmosphérique peuvent nuire à votre santé respiratoire, ou qu’un stress trop intense au travail peut vous occasionner de la fatigue et des problèmes de santé. Cependant, saviez-vous que les milieux où nous évoluons et les expériences que nous vivons durant notre petite enfance, et même avant de naître, peuvent avoir des effets à long terme qui influenceront notre santé physique et mentale des années plus tard, même si les conditions et les circonstances de notre vie ont changé depuis longtemps? [1]

En fait, un certain nombre de facteurs auxquels nous sommes soumis avant la naissance ainsi que durant la première enfance et la petite enfance ont des influences durables sur notre santé physique et mentale. Si on ne peut être totalement surpris du fait que les facteurs physiques qui influencent directement la physiologie d’un enfant – par exemple l’alimentation ou les produits toxiques – ont des effets durables, il faut savoir qu’il en est ainsi pour de nombreux facteurs sociaux caractérisant le milieu d’un enfant. Ces facteurs peuvent inclure le statut socioéconomique (SS) de sa famille ou son entourage, l’exposition au crime ou à la violence, l’insécurité alimentaire et le logement ainsi que les réseaux de soutien sociaux. Ces déterminants sociaux de la santé [2] résultent des multiples milieux où un enfant vit, joue et grandit, notamment son foyer, son école, son voisinage ainsi que la société et la culture dans l’ensemble.

De nombreuses études épidémiologiques ont fait ressortir que le milieu social de la petite enfance détermine de façon importante la santé et la maladie pendant la durée de vie [3]. Par exemple, une étude sur la relation entre le SS et le risque de développer une coronaropathie chez les médecins a révélé que malgré le fait qu’ils aient atteint un SS élevé en tant qu’adultes, les médecins élevés dans une famille où le SS était bas étaient plus à risque de développer une coronaropathie avant 50 ans, en comparaison avec ceux qui avaient été élevés dans une famille où le SS était élevé [4].

Récemment, nous avons créé la Social Exposome Research Cluster (grappe de recherche sur l’exposome social) à l’Université de la Colombie-Britannique; il s’agit d’un réseau multidisciplinaire de chercheurs ayant pour but de catalyser la recherche sur l’exposome social, un terme inventé pour décrire toutes les expositions que nous subissons au cours de nos vies et qui influencent notre développement et notre santé. Notre objectif est de comprendre quels facteurs sociaux et environnementaux ont la plus grande incidence sur la santé et le développement de l’enfant, les mécanismes biologiques par lesquels cette incidence se manifeste dans le corps et comment ces connaissances peuvent être utilisées pour concevoir des politiques et des interventions.

Épigénétique sociale et conditionnement biologique

Une question intrigue les chercheurs issus de plusieurs disciplines : Comment les milieux et les expériences qui caractérisent la petite enfance s’insinuent-ils « sous notre peau »? Ou, en d’autres mots, comment arrivent-ils à créer un conditionnement biologique capable d’influer à long terme sur notre santé [5]?

Tandis qu’il existe un certain nombre de mécanismes possibles, l’épigénétique est sans doute celui qui a le plus frappé l’imaginaire collectif.

L’épigénétique s’entend des modifications persistantes de l’information génomique sans modifier les séquences de l’ADN [6]. En termes simples, c’est l’étude des mécanismes biologiques qui « stimulent » ou « inhibent » l’activité génétique. Le mécanisme épigénétique le plus fréquemment étudié est la méthylation de l’ADN, qui consiste à ajouter un identifiant chimique qu’on appelle « groupe méthyle » à l’ADN, qui pourra subséquemment induire des changements sur le plan de l’activité génétique [7]. Si on veut s’exprimer par une métaphore, disons que la méthylation de l’ADN est le gradateur qui règle la luminosité de l’ampoule, ou l’activité génétique.

Plusieurs études ont démontré que les mêmes facteurs sociaux présents au cours de la petite enfance qui ont des effets à long terme sur notre santé et notre bien-être influencent aussi la méthylation de l’ADN et l’expression génétique, un domaine qu’on appelle désormais l’épigénétique sociale. Ce domaine naissant prend racine dans les conclusions suggérant que les divers facteurs sociaux présents au cours de la petite enfance – dont le SS, le revenu familial [8, 9], l’éducation parentale, l’adversité psychosociale [10], le nombre de contacts avec les fournisseurs de soins [11] et la violence faite aux enfants [12] –, sont tous associés avec la méthylation de l’ADN plus tard dans la vie. Il est toutefois important de noter que si ces études ont cerné des corrélations, elles ne suggèrent pas nécessairement des causalités.

Répercussions sur le secteur des politiques

La méthylation de l’ADN fournit une mémoire biologique des conditions sociales que nous rencontrons au cours de la petite enfance. Au fur et à mesure que le domaine de l’épigénétique sociale gagne en popularité, on se demande de plus en plus quelles sont les répercussions de ces travaux de recherche sur les politiques et les interventions visant à améliorer les conditions de vie des enfants et de leurs familles. Nous suggérons que l’épigénétique sociale peut s’avérer utile en matière de politiques de trois manières différentes [13] :

1. Sans doute la plus stimulante est que l’épigénétique pourrait influencer les futures orientations politiques. Comme nous l’avons mis en évidence dans les exemples ci-dessus, la recherche sur l’épigénétique sociale peut fournir des faits probants objectifs et une explication biologique de l’importance des milieux de la petite enfance dans la santé future. Il n’y a pas si longtemps encore, démontrer les faits probants au sujet des risques pour la santé liés à l’exposition à la fumée secondaire a facilité la mise en œuvre et l’acceptation des interdictions de fumer dans les lieux publics. Accroître la sensibilisation des décideurs politiques et du public à l’importance de la petite enfance et de son conditionnement biologique à long terme pourrait aider de la même manière à renverser l’opinion populaire et à mobiliser des appuis pour des interventions et des politiques qui bénéficient aux jeunes enfants et à leurs familles.

2. À plus courte échéance, l’épigénétique pourrait être utilisée comme un marqueur biologique (ou « biomarqueur ») des expositions précoces pour cerner les enfants qui peuvent être les plus à risque de développer diverses problématiques de développement ou de santé. Ce faisant, nous disposerions d’un moyen efficace d’effectuer des dépistages et de favoriser les interventions précoces afin d’optimiser les résultats en matière de santé chez les enfants à risque. Pour citer un exemple récent, des études ont déterminé des modèles distincts de la méthylation de l’ADN qui sont associés aux troubles causés par l’alcoolisation fœtale (TCAF), qui peuvent être très difficiles à diagnostiquer. Bien qu’ils en soient seulement aux premiers stades de la recherche, ces modèles de méthylation de l’ADN pourraient fournir un biomarqueur pour permettre la détection précoce des TCAF, qui est importante puisque les interventions les plus efficaces sont celles qui sont menées dès l’enfance [14].

3. Enfin, l’épigénétique pourrait aussi fournir des biomarqueurs pour évaluer rapidement l’efficacité des interventions conçues pour améliorer les résultats à long terme sur la santé. Le fait d’offrir une manière objective de mesurer l’influence des interventions auprès d’un enfant d’un point de vue biologique, des années ou même des décennies avant que les répercussions de l’intervention sur sa santé et son bien-être ne puissent être mesurées, permettra d’effectuer une évaluation rapide des changements apportés aux politiques publiques, ce qui entraînera potentiellement d’importantes économies de temps et d’argent.

Fait à mentionner, l’épigénétique n’est qu’un outil utilisé pour mesurer l’incidence des milieux et des expériences ayant caractérisé notre petite enfance. Il fait partie d’un vaste éventail de réponses et d’outils biologiques utilisés pour évaluer l’exposome social. D’autres méthodes sont en développement pour mesurer les marqueurs de l’immunité, les microbiomes, les métabolites et l’exposition à une multitude de produits chimiques et de composés environnementaux. L’analyse et l’intégration de ces données très complexes seront grandement facilitées par les percées rapides de l’intelligence artificielle. Pour mener ses travaux de recherche, la grappe sur l’exposome social utilisera ces outils et ces technologies afin de dégager des faits probants objectifs sur l’incidence biologique des expériences et des milieux inhérents à notre petite enfance dans l’objectif d’utiliser cette information pour éclairer les politiques et les interventions qui amélioreront la santé et le bien-être des enfants vivant au Canada et ailleurs dans le monde.

Ce sujet vous interpelle? Suivez la Social Exposome Research Cluster sur Twitter et consultez leur site Web pour vous tenir au fait de nos progrès et de nos découvertes.

Références :

[1] Shonkoff JP, Garner AS, Committee on Psychosocial Aspects of Child and Family Health; Committee in Early Childhood, Adoption, and Dependent Care; Section on Developmental and Behavioural Pediatrics (2012). The lifelong effects of early childhood adversity and toxic stress. Pediatrics 129:232-246.

[2] Mikkonen J, Raphael D (2010). Social determinants of health: The Canadian facts. Toronto: York University School of Health Policy and Management.

[3] Cohen S, Janicki-Deverts D, Chen E, Matthews KA (2010). Childhood socioeconomic status and adult health. Ann NY Acad Sci 1186:37-55.

[4] Kittleson MM, Meoni LA, Wang N-Y, Chu AY, Ford DE, Klag MJ (2006). Association of childhood socioeconomic status with subsequent coronary heart disease in physicians. AMA Int Med 166:2356-2361.

[5] Hertzman C (2006). The biological embedding of early experience and its effects on health in adulthood. Ann NY Acad Sci 896:85-95.

[6] Bird A (2007). Perceptions of epigenetics. Nature 447:396-398.

[7] Bird A (2002). DNA methylation patterns and epigenetic memory. Genes Dev 16:6-21.

[8] McDade TW, Ryan C, Jones MJ, MacIsaac JL, Morin AM, Meyer JM, Borja JB, Miller GE, Kobor MS, Kuzawa CW (2017). Social and physical environments early in development predict DNA methylation of inflammatory genes in young adulthood. Proc Natl Acad Sci 114:7611-7616.

[9] McDade TW, Ryan CP, Jones MJ, Hoke MK, Borja J, Miller GE, Kuzawa CW, Kobor MS (2019). Genome-wide analysis of DNA methylation in relation to socioeconomic status during development and early adulthood. AM J Phys Anthropol 169:3-11.

[10] Bush NR, Edgar RD, Park M, MacIsaac JL, McEwen LM, Adler NE, Essex MJ, Kobor MS, Boyce WT (2018). The biological embedding of early life socioeconomic status and family adversity in children’s genome-wide DNA methylation. Epigenomics 10:11

[11] Moore SR, McEwen LM, Quirt J, Morin A, Mah SM, Barr RG, Boyce WT, Kobor MS (2017). Epigenetic correlates of neonatal contact in humans. Dev Psychopathol 29:1517-1538.

[12] Roberts AL, Gladish N, Gatev E, Jones MJ, Chen Y, MacIsaac JL, Tworoger SS, Austin SB, Tanrikut C, Chavarro JE, Baccarelli AA, Kobor MS (2018). Exposure to childhood abuse is associated with human sperm DNA methylation. Transl Psychiatry 8:194.

[13] Park M, Kobor MS (2015). The potential of social epigenetics for child health policy. Can Pub Policy 41(Suppl 2):S89-S96.[14] Lussier AA, Morin AM, MacIsaac JL, Salmon J, Weinberg J, Reynolds JN, Pavlidis P, Chudley AE, Kobor MS (2018). DNA methylation as a predictor of fetal alcohol spectrum disorder. Clin Epigen 10:5


Kim Schmidt

La Dre Kim Schmidt est gestionnaire de la recherche sur le thème Bon départ dans la vie du BC Children’s Hospital Research Institute et membre du Comité directeur sur le « Social Exposome Cluster ». Elle détient un Ph. D. en biologie de l’Université Western; elle a également effectué une recherche documentaire examinant les effets à long terme de l’adversité dans la petite enfance sur la physiologie et le comportement.

Michael Kobor

Le Dr Michael Kobor est professeur au département de la médecine génétique de l’Université de la Colombie-Britannique, un Fellow du Programme de développement de l’enfant et du cerveau du CIFAR, un titulaire de la Chaire de recherche du Canada en épigénétique sociale, le titulaire de la Chaire de leadership de Sunny Hill BC en développement de l’enfant et coleader du « Social Exposome Cluster ». Il dirige, en outre, un programme de recherche reconnu à l’échelle internationale sur l’épigénétique sociale dans le but de déterminer de quelle façon les milieux de notre petite enfance « nous collent à la peau » afin d’avoir une incidence sur notre santé et notre bien-être à toutes les étapes de la vie.


Photo de l'auteur