Politique agile sur des terrains complexes – « Nudge » ou « Nuzzle » ?
PDF: Politique agile sur des terrains complexes – « Nudge » ou « Nuzzle » ?
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Introduction
« Nudge »
« Nuzzle »
Références
Introduction
Comment les gouvernements peuvent-ils, et devraient-ils, s’y prendre pour atteindre leurs objectifs? Plus particulièrement, comment peuvent-ils amener des particuliers et des organismes dans la société en général à changer leurs habitudes : que ce soit pour atteindre des objectifs plus étendus du gouvernement ou comme une fin en soi?
Une méthode, c’est la législation – par exemple, sur le port des ceintures de sécurité. Une autre méthode consiste à utiliser des mesures incitatives financières et des amendes – par exemple au moyen du système fiscal. Ces dernières années cependant, « nudge » est devenue à la mode, sous l’inspiration de l’économie comportementale et, en particulier, de Nudge: Improving Decisions about Health, Wealth, and Happiness de R.H.Thaler et C.R.Sustein (2008).
Le présent document fait le point sur l’incitation et offre une approche différente en ce qui concerne « nuzzle ». Il tire des enseignements de la documentation sur les systèmes complexes et le rôle des acteurs « agiles » (Room, 2011).
« Nudge »
MM. Thaler et Sustein commencent par aborder la difficulté que les gouvernements semblent avoir à persuader chaque citoyen de prendre des mesures simples, même lorsque celles-ci sont, de toute évidence, dans leur meilleur intérêt. Un exemple, c’est la prise de dispositions adéquates pour leurs pensions, au moyen des différents régimes de retraite personnels maintenant disponibles. La preuve suggère que les citoyens reconnaissent les risques qu’ils courent de voir leurs revenus diminuer considérablement quand ils prennent leur retraite, mais ils ne font pas les choix et les placements qui permettraient de réduire ce risque.
MM. Thaler et Sustein estiment que les citoyens se comportent d’une façon irrationnelle et sont coupables de paresse et d’inertie. Ils recommandent donc que le gouvernement structure les options qui sont présentées aux citoyens d’une façon telle que cette paresse et cette inertie les amèneront à opter pour ce que le gouvernement estime, en se fondant sur les éléments de preuve, être dans leurs meilleurs intérêts. À cet égard, Thaler et Sustein appliquent des leçons tirées des stratégies de mises en marche de sociétés, qui structurent les options qu’elles offrent aux consommateurs, en supposant que ces derniers choisiront les options qui comportent le moins d’ennuis.
Ainsi, les citoyens doivent être considérés comme des consommateurs plutôt paresseux à l’égard de services et de produits fournis par les sociétés et les gouvernements. Ils peuvent, et devraient, être « incités » à emprunter l’orientation que le gouvernement juge bon pour eux, plutôt que de leur présenter une gamme d’options et d’attendre qu’ils en choisissent quelques-unes. L’incitation a été bien décrite par ses auteurs comme du « paternalisme libertaire ». C’est cependant une forme très modeste de paternalisme, par rapport à celui que les États-providences traditionnels sont souvent accusés de personnifier, où on dit que le citoyen finit par avoir peu de choix, ou par n’en avoir aucun.
En plus d’attirer un intérêt politique important, l’incitation a produit une vaste documentation d’importance primordiale. Le présent document ne cherche pas à fournir un examen systématique de ces discussions. Nous offrons seulement trois questions.
Premièrement, qu’en est-il si le citoyen est mécontent à l’égard de toutes les options qu’offre le gouvernement ? Dans le cas des pensions, par exemple, le citoyen peut ne pas être suffisamment convaincu que toute disposition relative aux pensions sera suffisamment solide à long terme, pour justifier le fait d’investir une portion importante de ses revenus. Le citoyen peut considérer que le gouvernement et la collectivité ont le devoir de soutenir financièrement toutes les personnes âgées, au moins à un niveau de base, dans le cadre du contrat social avec tous les citoyens; il peut donc déplorer le message tacite du gouvernement, qui cherche à se retirer d’un tel contrat. Par conséquent, plutôt qu’un choix, le citoyen peut vouloir une garantie de bien-être et de sécurité.
Deuxièmement, l’incitation fait qu’on porte son attention sur le citoyen. Cela est compatible avec l’orthodoxie économique. Néanmoins, les particuliers appartiennent à des institutions qui, elles aussi, les incitent et les orientent dans des directions différentes, qui peuvent être conformes ou non aux incitations du gouvernement. Celui-ci peut mieux atteindre ses objectifs en recherchant la participation de telles institutions et en prévoyant les répercussions éventuelles de ses propres incitations et de celles de ces institutions.
Troisièmement, le fait de considérer les citoyens avant tout comme des consommateurs des services et des produits à la fois des sociétés et des gouvernements n’est pas sans poser problème. Cela les présente comme de simples répondants aux offres du marché commercial et politique. De ce fait, on ignore leur rôle en tant qu’innovateurs et entrepreneurs actifs, créateurs et agiles, qui cherchent à tisser et à façonner la société dans laquelle ils vivent.
« Nuzzle »
Un point de vue entièrement différent du développement social et économique est offert par les auteurs qui perçoivent la société comme un système complexe en constante évolution. Dans mes propres écrits, j’ai soutenu que les interventions en matière de politique doivent en général être perçues comme des intrusions dans un « écosystème » de politique complexe : la nouvelle intervention va « co-évoluer » avec divers éléments de cet écosystème, au moyen des synergies dynamiques qu’elle déclenche (Room, 2013). En effet, en renforçant certaines de ces synergies, les décideurs peuvent « affiner » l’écosystème en constante évolution et obtenir un effet du levier pour les changements qu’ils cherchent à concrétiser. Cela est en accord avec le travail d’autres auteurs sur le développement économique tels que celui d’Arthur (1997), dans le courant dominant de l’écriture sur la complexité, et d’Hirschman (1958), qui a prévu beaucoup de ses thèmes.
Le fait de considérer la société comme un écosystème complexe et en constante évolution ne devrait pas nous amener à matérialiser un tel système : les acteurs sociaux sont des participants, et cherchent à mettre en oeuvre leurs propres projets particuliers. Par conséquent, en plus de communiquer avec le décideur lorsqu’on cherche à atteindre les objectifs des autorités publiques, nous devons aussi poser la question : qu’en est-il du « menu fretin » – les entreprises, les organismes du secteur tertiaire et, bien sûr, chacun des citoyens?
Les oiseaux suivent le jardinier pendant qu’il brise les agrégats de terre et perturbe l’abri douillet offert aux scarabées et aux vers. Les acteurs sociaux et politiques « flattent » les puissants, non seulement parce que ceux-ci leur offrent de la protection, mais aussi parce que, comme agents de changement, ils sont susceptibles de perturber leur environnement global. Ces perturbations peuvent susciter de l’incertitude chez de nombreuses personnes, mais nous sentons que dans ce flux, de petites occasions s’offrent peut-être à nous aussi. C’est sous l’ombre des puissants que les stratégies d’action conçues par le menu fretin doivent prendre forme.
Ce n’est peut-être pas une perspective particulière-ment originale à proposer par rapport aux entrepre-neurs : bien qu’elle souligne que la plupart des entre-preneurs, sinon tous, développent leurs entreprises parmi les interstices des puissants, contrairement à Robinson Crusoé isolé du manuel d’économie. Cependant, cette perspective est aussi appropriée pour le parent seul et sa famille, qui doit jongler les exigences du bureau d’aide sociale, de l’employeur local et de l’école des enfants, en vue de faire vivre la famille et, sinon de prospérer, au moins de survivre. La créativité agile dont font preuve de telles familles, bien qu’à petite échelle, est bien étayée (Millar, Ridge). À l’autre extrémité de l’échelle, de petits pays logés à l’étroit entre les grandes puissances trouvent aussi nécessaire de « flatter » afin de survivre et de trouver un créneau pour eux-mêmes parmi les per-turbations que ces gros acteurs produisent : pensez par exemple au Canada, par rapport aux États-Unis et maintenant à la Chine.
Par conséquent, comme l’incitation, la flatterie est une perspective qui peut façonner notre position à l’égard d’un éventail complet d’acteurs sociaux, notamment, les citoyens. C’est à l’élaboration de la notion de « nuzzle » et à sa pertinence potentielle pour l’analyse des politiques, que je prévois con-sacrer, à l’avenir, une partie de mes efforts.
Références
Arthur, W. B., S. N. Durlauf, and D. A. Lane, (ed) . 1997. The Economy as an Evolving Complex System II. Boulder, Colorado: Westview.
Hirschman, A. O. 1958. The Strategy of Economic Development, New Haven: Yale University Press.
Room, G. 2011. Complexity, Institutions and Public Policy: Agile Decision-Making in a Turbulent World, Cheltenham: Edward Elgar.
Room, G. 2013. ‘Evidence for Agile Policy Makers:The Contribution of Transformative Realism’, Evidence and Policy, 9(2): 225-244.
Thaler and Sustein. 2008. Nudge: Improving Decisions about Health, Wealth, and Happiness.