La technologie : Régir ce qui ne peut être régi?

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En ce qui concerne la technologie
En ce qui concerne la technologie et la régie
Conclusion : La technologie peut-elle être régie, ou non?
Références

L’essence de la technologie n’est d’aucune façon quelque chose de technologique. – Martin Heidegger

La technologie peut-elle être régie?

Cette publication examine certaines considérations à l’égard de la technologie et de sa régie dont les décideurs devraient tenir compte. Il examine d’abord l’essence de la technologie et ensuite la question de la régie de la technologie.

En ce qui concerne la technologie

Il existe deux considérations importantes à retenir lorsqu’on pense à la technologie (Mansell 2012; Arthur 2009; Freeman et Soete 1997) :

  1. Les technologies ne sont pas des artéfacts autonomes – elles ne peuvent être isolées du milieu duquel elles sont produites et utilisées, et
  2. La croissance et le changement technologique n’est pas linéaire. Elle est très dynamique, elle reflète la capacité des divers intervenants d’endosser certaines innovations plutôt que d’autres.

Les technologies sont enchâssées dans les systèmes sociotechniques

La technologie n’agit pas sur la société de façon nécessairement logique ou rationnelle et les changements qu’elle favorise ne sont pas universellement semblables. Les technologies sont enchâssées dans des systèmes sociotechnologiques dont les institutions et les intérêts différents exercent des degrés variés d’influence. Par conséquent, le changement technologique produit à la fois des résultats culturels, économiques, politiques et sociaux attendus et inattendus.

Il existe une pluralité de systèmes sociotechnologiques – p. ex., la nanotechnologie, la biotechnologie, les TIC, la robotique, etc. — chacun avec son propre milieu unique de réglementation et de composition d’intervenants locaux, régionaux, nationaux et internationaux.

Bien que les technologies soient conçues pour aborder certains défis, elles donnent aussi souvent lieu à des considératrions politiques spécifiques — qu’elles soient culturelles, économiques, politiques ou sociales. Ce fait est peut-être mieux récapitulé par la maxime classique de Marshall McLuhan, « Nous façonnons nos outils, et ceux-ci à leur tour nous façonnent. » Par exemple, l’énergie nucléaire peut avoir été créée pour répondre à un besoin d’énergie, mais elle a créé d’autres problèmes (p. ex., de sécurité ou de préoccupations environnementales) qui sont aspirés dans l’arène politique (voir, par exemple, Winner, 1986).

La croissance des technologies

Le développement technologique découle d’un régime de concessions mutuelles entre la pression de la demande et la pression de l’offre. Certaines technologies sont créées et entrent sur le marché grâce en grande partie à une demande des consommateurs – p. ex., les groupes de patients qui veulent des appareils médicaux ou des médicaments. D’autres technologies sont créées et entrent sur le marché grâce en grande partie à une pression de l’offre – p. ex., les OGM, la nanotechnologie et plusieurs TIC sont bien le résultat d’une pression de l’offre (mais pas nécessairement mauvaise dans son intention ou ses répercussions).

Les décideurs doivent faire attention de ne pas confondre la présence d’une technologie et son utilisation. Ainsi, dans le domaine des communications, la détection du nombre de postes de télévision, de journaux, de radios, de téléphones, et plus récemment, l’accès physique aux TIC a longtemps servi d’indicateur de son utilisation. Bien que les taux de pénétration de la technologie offrent un moyen de mesurer quantitativement la « vitesse » de diffusion, ils ne tiennent pas compte de la façon dont les facteurs particuliers influencent la mise en application dans des contextes différents. L’importance des distorsions découlant d’un tel point de vue ne peut pas être sous-estimée. Premièrement, elles peuvent conduire à surestimer les bénéfices éventuels, tout en ne tenant pas compte des défis liés à l’adoption de nouvelles technologies. Deuxièmement, trop se concentrer sur l’accès aux technologies suggère la présence d’impératifs sociaux et économiques uniformes et d’impacts technologiques uniformes. Pourtant, ce sont des variables socio-économiques telles que la capacité, les compétences, le contenu, l’alphabétisation, le revenu, la culture, ainsi que la nature des environnements commerciaux et réglementaires qui tiennent compte de la capacité des sociétés d’absorber les innovations technologiques.

L’histoire de la technologie nous apprend à nous attendre à l’inattendu. Le développement et la croissance technologiques ne sont pas linéaires, dynamiques et imprévisibles. Et, les technologies comportent presque toujours des conséquences inattendues. Ceci provoque une myriade de défis politiques.

En ce qui concerne la technologie et la régie

Lorsqu’on aborde la question de la régie de la technologie, il faut examiner les mécanismes actuels de régie et se demander pourquoi il existe un désir de régir la technologie.

Mécanismes de régie

Lorsqu’ils pensent à des mécanismes de régie de la technologie, les décideurs fédéraux doivent à la fois tenir compte des institutions nationales et internationales et, la plupart du temps, de la nature de la relation entre les différents niveaux de réglementation. Par exemple, Environnement Canada et Santé Canada réglementent les nanomatériaux, mais la politique fédérale est informée par les travaux des institutions internationales, comme le Groupe de travail de l’OCDE sur la nanotechnologie et le Groupe de travail de l’OCDE sur les nanomatériaux manufacturés, de même que le Comité technique sur la nanotechnologie, de l’Organisation internationale de normalisation (ISO/CT229). Les perceptions des intervenants risquent aussi d’entrer en jeu; prenez par exemple l’exigence que les aliments étiquetés comme étant « biologiques » doivent être non-OGM et non-nano.

Quels sont les objectifs de régie?

Au micro-niveau, il existe des questions entourant les techniques spécifiques et les différents objectifs recherchés – par exemple :

  • L’objectif est-il de promouvoir ou de contrôler/réglementer la technologie (p. ex., la biotechnologie)?
  • L’objectif est-il de remodeler ou de créer un nouvel ordre social? (p. ex., utiliser une nouvelle technologie – p. ex., Internet – pour créer des communautés virtuelles, pour brancher des groupes qui sont physiquement déconnectés, mais qui veulent être en contact.)
  • Quels intervenants devraient être engagés pour atteindre les objectifs?

Au macro-niveau, il y a la question de savoir comment les objectifs de régie peuvent atteindre l’intérêt public. Cela implique un équilibre entre les considérations du bien-être économique, du bien-être politique, et du bien-être social. Chacune de ces considérations prescrit différentes orientations et différents mécanismes politiques, par exemple :

  • Des considérations éthiques/juridiques et économiques (comme, p. ex., certaines technologies neurocognitives comme les interfaces neuronales, les réseaux de neurones artificiels, ou les technologies d’extension de la cognition – il y aura à la fois des pressions pour promouvoir et réglementer/restreindre ces technologies;
  • Les considérations mondiales et nationales (p. ex., les questions de déréglementation de certaines technologies – p. ex., les télécommunications – devront tenir compte des enjeux mondiaux (investissements étrangers) et des préoccupations nationales (perte du contrôle national).

Les objectifs (tant au niveau micro que macro) sont particulièrement difficiles à une époque de convergence des technologies. Plus que jamais, la question des limites surgit – p. ex., à quel moment la régie de la biotechnologie se prolonge-t-elle dans la politique en matière de santé? Les limites de la régie d’une technologie particulière peuvent également estomper – p. ex., la robotique a des répercussions militaires et en matière de santé.

Conclusion : La technologie peut-elle être régie, ou non?

D’un point de vue politique, il y a peu d’avantages à obtenir en parlant de la « technologie » dans un sens générique. Il est également utile de reconnaître que lorsqu’il s’agit de la régie de la technologie, le coeur de la question n’est pas un artéfact particulier, mais plutôt un ensemble complexe d’interrelations comprenant des considérations culturelles, économiques, politiques, sociales et technologiques. La régie de la technologie devrait être abordée en tenant compte de mécanismes à différents niveaux (international, fédéral, provincial) et d’objectifs de niveau micro et macro. À cette fin, la politique technologique est vraiment une politique sociale, au sens large.

La notion de « régir la technologie plutôt que d’être régi par la technologie » est une fausse dichotomie. Ce n’est pas une question de l’un ou l’autre, mais « des deux » – nous cherchons activement à guider (et parfois à contraindre) les changements technologiques vers des objectifs politiques particuliers, mais ce faisant, la technologie guide (et parfois contraint) notre compréhension des objectifs particuliers de la politique. Au lieu de parler de régir la technologie, il est plus approprié de dire que la technologie peut être guidée.

En tentant de guider la technologie, au milieu de tous ces dispositifs révolutionnaires et de ces applications à la fine pointe, les décideurs peuvent trouver un certain réconfort dans le fait que les assises des politiques publiques restent les mêmes. Et en ce sens, pour reformuler un peu les mots du célèbre philosophe Martin Heidegger, guider la technologie n’est d’aucune façon quelque chose de technologique.

Références

Arthur, B.W. 2009. The Nature of Technology: What It Is and How It Evolves. New York: Free Press

Freeman, C. 2007. ‘The ICT Paradigm’, in R. Mansell, C. Avgerou, D. Quah, et R. Silverstone (eds) The Oxford Handbook of Informa-tion and Communication Technologies. Oxford: Oxford University Press, pp. 34-54.

Freeman, Chris, and Luc Soete. 1997. The Economics of Industrial Innovation. Troisième éd. London: Pinter.

Mansell, Robin. 2012. Imagining the Internet: Communication, Innovation, and Governance. Oxford: Oxford University Press.

Winner, Langdon. 1986. The Whale and the Reactor: A Search for Limits in an Age of High Technology. Chicago: University of Chicago Press.

Il existe une pluralité de systèmes sociotechnologiques – p. ex., la nanotechnologie, la biotechnologie, les TIC, la robotique, etc. — chacun avec son propre milieu unique de réglementation et de composition d’intervenants locaux, régionaux, nationaux et internationaux.


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